Champrosay ce vendredi soir

Mon cher cousin,

Je reçois ce soir seulement une convocation à laquelle je ne m’attendais plus et qui me force à vous prier de m’excuser de ne pas me rendre près de vous après-demain dimanche¹. J’en suis désolé, je voulais passer outre, mais après réflexion, j’ai vu que c’était impossible. Voici le fait : il y a plusieurs années qu’il a été question d’établir dans l’enseignement des lycées et même des écoles élémentaires la méthode pour le dessin de Mad. Cavé² . Cette méthode la plus simple du monde a déjà été repoussée par la routine et par des intéressés il y a 7 ou 8 ans. Je faisais alors partie d’une commission où ce rejet fut décidé malgré mes efforts. Il y a plus de deux mois que le M^tre de l’inst^on publique a nommé une nouvelle commission à cet effet et j’en suis encore membre³. Comme il n’y avait pas eu de réunion jusqu’à présent, j’avais pensé qu’on remettrait après les vacances. Voici que tantôt m’arrive la convocation et pour aujourd’hui vendredi et je la reçois grâce à des retards à l’heure même où la commission avait lieu.

Voici donc à quoi je m’arrête : j’irai demain matin à Paris faire en sorte que les séances se succèdent ces jours-ci de manière à me laisser libre. Sitôt que je le serai, j’irai vous trouver et me consoler de ces contrariétés qui renversent tous mes projets de cet automne tant pour le travail que pour le repos⁴. J’espère que cette lettre que je vous écris à la hâte vous arrivera à temps pour que vous n’envoyiez pas la voiture au devant de moi. Mille regrets du fond du cœur, cher cousin.

Eug. Delacroix

Exprimez-les aussi à Madame de La Grange.

² Elisabeth Cavé avait rédigé en 1850 une méthode sur le dessin (Le Dessin sans maître) dont Delacroix fit un compte-rendu dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1850. Il fit ensuite partie d’une commission établie par le ministre de l’Instruction publique afin de déterminer si cette méthode devait être adaptée dans les écoles et rédigea un rapport à cet effet (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1704-1705).

³ Cf. lettre de Delacroix à monsieur Millet, chef de division au ministère de l’Instruction publique, datée de Champrosay, 8 octobre 1861 (Joubin, Corr. Gén, t. IV, p. 275-276).

⁴ Delacroix séjourna finalement à Augerville du 2 au 14 septembre 1861.

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Champrosay ce vendredi

soir.

Mon cher cousin,

Je reçois ce soir seulement
une convocation à laquelle je ne
m’attendais plus et qui me force
à vous prier de m’excuser de ne pas
me rendre près de vous après demain
dimanche. J’en suis désolé, je
voulais passer outre mais apres
reflexion j’ai vu que c’etait impos-
-sible : voici le fait : Il y a plusieurs
années qu’il a eté question d’etablir
dans l’enseignement des Lycées et
même des ecoles elementaires la
methode pour le dessin de Mad.
Cavé. Cette methode la plus
simple du monde a deja eté
repoussée par la routine et par des
interessés il y a 7 ou 8 ans. Je fesais

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alors partie d’une Commission
où ce rejet fut décidé malgré
mes efforts. Il y a plus de deux
mois que le M^tre de l’inst^on
publique a nommé une nouvelle
commission à cet effet et j’en
suis encore membre. Comme il
n’y avait pas eu de réunion
jusqu’à present, j’avais pensé qu’on
remettrait après les vacances : voici
que tantôt m’arrive la convo-
-cation et pour aujourdhui vendredi
et cela je la reçois [mot barré] grâce
à des retards à l’heure même
où la commission avait lieu.

Voici donc à quoi je m’ar-
-rête : j’irai demain matin à
Paris faire en sorte que les séances
se succèdent ces jours ci de maniere
à me laisser libre : [mot barré] sitot que

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je le serais, j’irais vous trouver
[4 ou 5 mots barrés] et
me consoler de ces contrarietes
qui renversent tous mes
projets de cet automne tant
pour le travail que pour le
repos. J’espere que cette lettre
que je vous ecris à la hâte
vous arrivera à temps pour
que vous n’envoyez pas la
voiture au devant de moi.

Mille regrets du fond
du cœur cher cousin.

Eug Delacroix

Exprimez les aussi à Madame
de la Grange.