Lettre à Constant Dutilleux, 5 octobre 1850

  • Cote de la lettre ED-IN-1850-OCT-05-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Constant DUTILLEUX
  • Date 05 Octobre 1850
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 35-37 ; Burty, t. II, p. 53.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,5x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 239 pièce 5
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Transcription modernisée

 

Paris, 5 octobre 1850

 

Cher monsieur,

 

Je n’aurais pas d’excuse de n’avoir pas répondu encore à votre excellente lettre déjà si ancienne, si je n’avais été tout cet été dans des allées et venues continuelles. Je n’étais pas à Paris quand votre lettre y est arrivée et, depuis mon retour , j’ai été si occupé d’un travail qu’on me demande à cor et à cri que j’ai remis de jour en jour et je vous assure avec le plus grand regret, car il est impossible d’être plus touché que je ne le suis de tout ce que vous me dites. L’intérêt que vous voulez bien prendre à tout ce qui me touche est une chose si rare à rencontrer, l’amitié en un mot, car c’est là son signe certain, que votre lettre, que je relis en ce moment, me cause une véritable émotion de bonheur. Les liens de toute espèce se relâchent cruellement à mesure qu’on avance dans la vie ; et les gens dont le public s’occupe, à tort ou à raison, sont plus exposés que les autres à voir se glacer autour d’eux les sentiments bienveillants que l’on trouve pendant la jeunesse dans les camarades et amis. Vous jugez donc facilement du plaisir que cause dans cette situation tout sentiment vrai. Vous êtes trop bon d’attacher de l’importance à la petite figure dont vous me parlez. Elle a été faite il y a un peu plus d’un an et même refaite, car elle ne me plaisait guère quand je l’ai commencée, et quand enfin je l’ai laissée elle ne me plaisait pas davantage. Je n’y ai du reste attaché aucune intention particulière. Je fais souvent de ces petits tableaux quand je n’ai rien de plus important sur le métier. Je n’y suis même guère encouragé, car il semble que les amateurs, qui sont avares de leur estime, concluent, de ce qu’on me trouve propre aux grands travaux, que je dois être inférieur dans les petits tableaux. Je ne sais s’il en est réellement ainsi. Pour moi je fais les uns et les autres avec le même plaisir et crois très bien qu’on peut mettre dans un petit cadre autant d’intérêt que dans un monument entier.

Je n’ai pu encore commencer à Saint-Sulpice , quoique mes compositions soient arrêtées : le travail qu’on me demande et dont je vous ai parlé est un plafond qui doit figurer dans la restauration de la galerie d’Apollon au Louvre. C’est un ouvrage très important qui sera placé dans le plus bel endroit du monde, à côté de belles compositions de Lebrun. Vous voyez que le pas est glissant et qu’il faut se tenir ferme. Je commence à avancer dans ce travail. Il a suspendu naturellement l’autre, d’autant plus que l’hiver m’aurait chassé de Saint-Sulpice . Ce dernier travail me plait beaucoup : ce sont deux grands sujets qui se font face, avec un plafond et des ornements que je dois exécuter dans la chapelle. L’un des sujets est Héliodore chassé du Temple, l’autre La Lutte de Jacob avec l’ange, et enfin [au] plafond L’Archange saint Michel terrassant le Démon. Vous me voyez dans ces différents sujets côtoyant des grands maîtres bien imposants. Mais les sujets religieux, entre tous les genres d’attrait qu’ils présentent, ont celui de laisser toute carrière à l’imagination de manière à ce que chacun y trouve à exprimer son sentiment particulier.

Si, comme je le désire, j’allais en Belgique d’ici à un ou dix-huit mois, j’irais certainement vous serrer la main et vous remercier. Je vous verrai peut-être à Paris d’ici là. Le Salon peut-être vous attirera.

Adieu, cher monsieur, recevez en attendant l’assurance de mes sentiments bien dévoués.

Eugène Delacroix

 

Transcription originale

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Monsieur Dutilleux
peintre
à Arras
non

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