Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 11 mai 1858

  • Cote de la lettre ED-IN-1858-MAI-11-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 11 Mai 1858
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 31-33.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 38
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Transcription modernisée

 

Ce 11 mai 1858

Cher et bon cousin,

 

Je vous écris quelques lignes au moment de partir pour la campagne où je vais essayer de me refaire un peu1. J’ai grand besoin de respirer l’air libre ou plutôt d’en changer, ce qui est un des meilleurs remèdes à tous les maux : je compte rester là, près de ma chère forêt, jusqu’à ce qu’une lettre de vous m’avertisse quelques jours à l’avance (comme cinq ou six) du jour de votre départ pour Paris2 : je ferai aussitôt mes paquets pour venir vous recevoir et votre présence achèvera, j’espère, ma guérison.

Vous avez aussi payé votre tribut ce printemps. C’est une diabolique saison malgré sa réputation : pendant que les oiseaux recouvrent la voix de tous côtés et que les arbres reverdissent, je ne vois autour de moi que des humains maudissant le vent de bise. Il paraît que nous ne fleurissons pas dans les mêmes conditions que les animaux et que les végétaux.

J’ai déjà lu un acte et demi de votre pièce3, malgré la diabolique écriture de votre copiste qui confond les apartés avec les discours et les noms des personnages. Cela ne m’a pas empêché pourtant d’en suivre le fil et jusqu’à présent cela marche bien. Quant à la modernité de l’œuvre, je crains que les qualités de simplicité et de bon sens qui l’eussent recommandée autrefois ne soient plus propres à lui nuire aujourd’hui. Il faut des surprises, des effets forcés : nous n’avons plus notre fidèle Vacquerie4 pour prendre en mains la cause de l’hospodar dépossédé auprès d’un directeur de théâtre quelconque et j’entrevois beaucoup de difficultés pour lui faire rendre justice.

Ce sera le sujet de nos conversations, avec beaucoup d’autres thèmes qui ne manquent jamais à des hommes qui ont beaucoup vécu et par conséquent beaucoup senti et souffert.

Adieu, cher cousin : je vous embrasse de tout cœur en attendant le moment de notre bonne réunion.

Eugène Delacroix

Voici l’adresse à laquelle je vous prie de m’écrire à l’avance pour m’annoncer votre arrivée et par quel train : je suppose que vous prendrez celui qui arrive le soir.

M. Eugène Delacroix à Champrosay, par Draveil, Seine-et-Oise

 

 


1 Dans son Journal, il note le 11 mai 1858 : "Parti pour Champrosay à onze heures. Grand bonheur de m’y voir" (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1239).
2 Voir la lettre du 30 avril 1858.
3 Hunyades, drame.
4 A propos d’Auguste Vacquerie, voir les notes 2, 3 et 4 de la lettre du 29 mai 1851.

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 11 mai 1858

Cher et bon cousin,

Je vous ecris quelques lignes
au moment de partir pour la cam-
-pagne où je vais essayer de me refaire
un peu. J’ai grand besoin de respirer
l’air libre ou plutôt d’en changer, ce
qui est un des meilleurs remedes à tous
les maux : je compte rester là, près de
ma chère forêt, jusqu’à ce qu’une lettre
de vous m’avertisse quelques jours à
l’avance
(comme cinq ou six) [deux mots barrés illisibles]
du jour de votre depart pour Paris :
je ferai aussitot mes paquets pour
venir vous recevoir et votre présence
achevera j’espere ma guérison.

Vous avez aussi payé votre tribut
ce printemps. C’est une diabolique saison
malgré sa réputation : pendant que

 

Page 2

 

malgré sa réputation : pendant que
les oiseaux recouvrent la voix de
tous côtés et que les arbres reverdissent [mot interlinéaire] [mot barré illisible]
je ne vois autour de moi que des
humains maudissant le vent de
bise. Il parait que nous ne fleurissons
pas dans les mêmes conditions que
les animaux et que les vegetaux.

J’ai deja lu un acte et demi
de votre piece, malgré la diabolique
ecriture de votre copiste qui confond
les aparte avec les discours et les noms
des personnages. Cela ne m’a pas em-
-peché pourtant d’en suivre le fil et
jusqu’à présent cela marche bien. Quant
à la modernité de l’œuvre, je crains
que les qualités de simplicité et de bon
sens qui l’eussent recommandé autrefois
ne soient plus propres à lui nuire aujour-
-d’hui. Il faut des surprises, des effets forcés :
nous n’avons plus notre fidèle Vaquerie
pour prendre en mains la cause de

 

Page 3

 

l’hospodar depossedé auprès
d’un directeur de theatre quelconque
et j’entrevois beaucoup de difficultés
pour lui faire rendre justice.

Ce sera le sujet de nos conversa-
-tions avec beaucoup d’autres thèmes
qui ne manquent jamais à des
hommes qui ont beaucoup vecu et
par consequent beaucoup senti et souffert.

Adieu cher cousin : je vous embras-
-se de tout coeur en attendant le
moment de notre bonne réunion.

EugDelacroix

Voici l’adresse à laquelle je vous
prie de m’ecrire à l’avance pour
m’annoncer votre arrivée et par
quel train : je suppose que vous prendrez
celui qui arrive le soir.

M. Eugene Delacroix à Champrosay
par Draveil
Seine et Oise

 

 

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