Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 25 novembre 1860

  • Cote de la lettre ED-IN-1860-NOV-25-B
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 25 Novembre 1860
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 213-215.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 71
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Transcription modernisée

 

Paris, ce 25 novembre 1860

Cher et bon cousin et respectable ami,

 

Merci mille fois de votre lettre : je me suis reproché bien souvent de ne pas vous avoir écrit pour vous tenir au courant du succès d’un travail auquel vous vous intéressez si aimablement1. Quand je dis succès, je veux dire l’avancement, car je n’en suis pas encore à le montrer. Je n’ai pas cessé d’y travailler et, si la santé ne me manque pas, j’espère finir au commencement de janvier : je ne vais pas si vite que vous croyez et cependant je ne m’y épargne pas. Au demeurant, je le crois salutaire pour ma santé malgré la fatigue ; enfin, l’attrait que j’y trouve est si grand que j’y cours comme un jeune homme bien portant court chez sa maîtresse.

Je pense déjà à notre réunion dans la belle saison. Je traverse en idée les brouillards et les frimas de l’hiver : je suis moins accroupi auprès de mon feu ; forcé de sortir pour mon travail, je sors encore le soir. Tout cela me donne des forces. Nous avons en nous comme une roue qui fait tout mouvoir comme dans un moulin. Il faut absolument la faire tourner, sans cela elle se rouille et tout s’arrête dans notre machine, corps et esprit. Votre excellent régime vous entretient dans cette bonne disposition. Moi, il me faut exercice et travail.

Vous me demandez des nouvelles du bon Guillemardet. Il est de sa personne d’une mauvaise et chancelante santé et il vient d’éprouver un malheur de famille. Il a perdu sa nièce, Mme Coquille, qui vient de mourir après une maladie qui a duré plus de quinze ans et dans un âge où elle pouvait encore se promettre de vivre2. Il y a vraiment des existences condamnées à des souffrances particulières, ce qui ne les garantit pas des chagrins et des souffrances qui affligent tous les hommes. Le pauvre Félix, que vous avez connu, s’est vu avant 30 ans assassiné lentement par une maladie implacable, qui le retranchait du nombre des humains avant le terme définitif.

Tenons-nous bien, cher et respectable ami : que dans trente ans nous nous revoyons encore, tantôt à Strasbourg, tantôt à Paris ! Je lisais dernièrement l’histoire du vieux Parr, mort sous Charles II à 140 ans. Il se portait comme un charme ; le roi voulut le voir, on lui donna une indigestion, qui l’emporta. À l’ouverture de son corps, on ne trouva pas un organe malade ou affaibli.

Voilà de beaux exemples à se proposer. Vous voyez que nous avons le temps de faire des projets. Je vous embrasse donc de cœur, sur toutes ces réflexions consolantes, en vous assurant de mon tendre respect.

Eugène Delacroix

 


1 Le décor de la chapelle des Saints-Anges à l’église Saint-Sulpice.
2
Laure-Hélène Coquille, décédée le 13 novembre 1860 d’une cholérine (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 2145).

 

 

Transcription originale

Page 1

 

Paris ce 25 nov. 1860

Cher et bon cousin et respectable ami, [mot interlinéaire]


Merci mille fois de votre
lettre : je me suis reproché bien
souvent de ne pas vous avoir
ecrit pour vous tenir au courant
du succès d’un travail auquel
vous vous interessez si aimablement.
Quand je dis succès, je veux
dire l’avancement car je n’en
suis pas encore à le montrer. Je n’ai
pas cessé d’y travailler et si la
santé ne me manque pas, j’espère
finir au commencement de janvier :
je ne vais pas si vite que vous croyez
et cependant je ne m’y epargne pas.

 

Page 2

 

Au demeurant, je le crois
salutaire pour ma santé malgré
la fatigue : Enfin l’attrait que
j’y trouve est si grand que j’y
cours comme un jeune homme
bien portant court chez sa maîtresse.

Je pense deja à notre réunion
dans la belle saison. Je traverse
en idée les brouillards et les frimats
de l’hiver : je suis moins accroupi
auprès de mon feu. forcé de sortir
pour mon travail, je sors encore
le soir. tout cela me donne des
forces. Nous avons en nous
comme une roue qui fait tout
mouvoir comme dans un moulin.
Il faut absolument la faire tourner
sans cela elle se rouille et tout
s’arrete dans notre machine, corps

Page 3

 

et esprit. Votre excellent
régime vous entretient dans cette
bonne disposition. Moi, il me faut
exercice et travail.

Vous me demandez des nouvelles
du bon Guillemardet. Il est de
sa personne d’une mauvaise et
chancelante santé et il vient
d’eprouver un malheur de famille. Il
a perdu sa niece Mde Coquille, qui
vient de mourir apres une maladie
qui a duré plus de 15 ans et dans
un âge où elle pouvait encore se
promettre de vivre. Il y a vraiment
des existences condamnées à des souf-
-frances particulieres, ce qui ne les
garantit pas des chagrins et des
souffrances qui affligent tous les
hommes. Le pauvre Felix que vous
avez connu s’est vu avant 30 ans

 

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assassiné [mot barré illisible] lentement par
une maladie implacable, qui
le retranchait du nombre des
humains avant le terme definitif

Tenons nous bien cher et
respectable ami : que dans trente
ans nous nous revoyons encore
tantot a Strasbourg, tantot à
Paris. Je lisais dernierement l’his-
-toire du vieux Parr mort sous
Charles II a cent quarante ans.
Il se portait comme un charme : le
roi voulut le voir : on lui donna
une indigestion qui l’emporta. à
l’ouverture de son corps, on ne trouva
pas un organe malade ou affaibli
Voila de beaux exemples à se pro-
-poser. [mot barré illisible] vous voyez que nous avons
le temps de faire des projets. Je vous
embrasse donc de cœur sur toutes ces
reflexions consolantes en vous assurant
de mon tendre respect.

EugDelacroix

 

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