Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 16 avril 1860

  • Cote de la lettre ED-IN-1860-AVR-16-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 16 Avril 1860
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 166-168.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 64
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Transcription modernisée

 

Ce 16 avril 1860

Cher cousin,

 

Votre bonne lettre m’arrive à l’instant et je ne veux pas retarder de vous donner de mes nouvelles. Je suis à peu près remis, quoique je n’ose travailler qu’avec beaucoup de discrétion : j’avais eu une petite rechute pour avoir voulu trop tôt recommencer. J’aurais désiré aller me remettre tout à fait à Champrosay, mais j’ai ici l’obligation de surveiller les décorateurs de ma chapelle, qui en mon absence me feraient mille sottises. Si vous venez, comme je crois me rappeler que vous me l’avez dit, seulement à la fin de mai, j’aurai quelque temps le mois prochain pour me reposer à la campagne.

Je tardais à vous écrire parce que je n’avais pas d’excellentes nouvelles à vous mander1. En présence du mauvais vouloir évident de la Légion d’honneur, dont les demandes ne tendaient qu’à me faire promener dans les bureaux comme un solliciteur à qui on ne veut rien accorder, j’ai pris le parti d’user de mon principal moyen. J’ai écrit à M. Delangle2 une lettre très pressante ; l’ayant vu déjà pour cet objet, j’ai pensé qu’une lettre dirait mieux ce que j’ai à dire et resterait sous ses yeux : je lui demandais en même temps de vouloir bien, par lettre ou par une audience, me faire savoir ce que je pouvais espérer. Depuis plus de quinze jours je n’ai rien reçu : je vais donc maintenant lui redemander formellement une audience, dans laquelle je lui rappellerai ses intentions favorables de notre première entrevue.

Si ce moyen nous manque, je vous avoue, cher cousin, que je suis sans armes pour toute autre chose. Vous vous rappellerez que je ne vous dissimulai pas, à Strasbourg, la difficulté d’obtenir ces faveurs, surtout après tant d’années écoulées depuis les services. Si vous vous le rappelez aussi, je crus la chose faisable quand vous m’apprîtes que votre préfet avait fait une démarche directe, qui me parut notre principal moyen d’action. Malheureusement cette intervention a été si tiède qu’il est presque mieux de ne la pas faire valoir. Je ne vous cache pas non plus que c’est cette froideur de sa part qui m’a empêché d’aller le voir à son passage. Ma visite à un homme qui ne me visite pas me parut une démarche beaucoup trop empressée auprès d’un homme qui ne l’est guère et n’aurait provoqué de sa part rien de plus que ce qu’il avait fait déjà.

Vous comprenez pourquoi j’ai remis de jour en jour à vous avertir de tout cela : d’ici à quelques jours, j’aurai eu, j’espère, mon audience et vous en manderai aussitôt le résultat.

Le temps, que vous trouvez beau, est encore bien incertain et bien froid ici pour un convalescent ; il sera tout à fait beau quand vous entreprendrez le voyage qui doit nous réunir et nous consoler des ennuis de la vie, laquelle en engendre un nouveau tous les matins.

Je vous embrasse bien, cher cousin, à bientôt.

Eugène Delacroix

 


1 A propos des démarches pour la croix de la Légion d’honneur.
2
Le ministre de la Justice. Voir la lettre du 22 mars 1860 (note 5).

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 16 avril 1860

Cher cousin,

Votre bonne lettre m’arrive
à l’instant et je ne veux pas retarder de
vous donner de mes nouvelles. Je suis
à peu près remis quoique je n’ose travailler
qu’avec beaucoup de discretion : j’avais
eu une petite rechute pour avoir voulu
trop tôt recommencer. J’aurais desiré
aller me remettre tout à fait à Champ-
-rosay, mais j’ai ici l’obligation de
surveiller les décorateurs de ma chapelle
qui en mon absence me feraient mille
sottises. Si vous venez, comme je crois me
rappeler que vous me l’avez dit seulement [mot interlinéaire] à la fin
de mai, j’aurai quelque temps le mois
prochain pour me reposer à la campagne.

Je tardais à vous ecrire parceque
je n’avais pas d’excellentes nouvelles à vous [mot interlinéaire] [mot barré illisible]
mander. En présence du mauvais vouloir
évident de la legion d’honneur dont les
demandes ne tendaient qu’à me faire prome-
-ner dans les bureaux comme un solliciteur

 

 

Page 2

 

à qui on ne veut rien accorder,
j’ai pris le parti d’user de mon
principal moyen. J’ai ecrit à M
Delangle une lettre très pressante.
l’ayant vu deja pour cet objet, j’ai
pensé qu’une lettre dirait mieux ce que
j’ai à dire et resterait sous ses yeux :
je lui demandais en même temps
de vouloir bien par lettre ou par une
audience me faire savoir ce que je
pouvais esperer. Depuis plus de quinze
jours je n’ai rien reçu : je vais donc
maintenant lui redemander formel-
-lement une audience dans laquelle
je lui rappelerai ses intentions favorables
de notre première entrevue.

Si ce moyen nous manque, je
vous avoue, cher cousin, que je suis
sans armes pour toutes autre chose.
Vous vous rappelerez que je ne vous
dissimulai pas à Strasbourg, la difficulté
d’obtenir ces faveurs, surtout après tant
d’années ecoulées depuis les services. Si
vous vous le rappelez aussi, je crus la
chose faisable quand vous m’apprîtes que

 

Page 3

Votre prefet avait fait une démar-
-che directe qui me parut notre prin-
-cipal moyen d’action. Malheureusement
cette intervention a eté si tiède qu’il
est presque mieux de ne la pas faire
valoir. Je ne vous cache pas non plus
que c’est cette froideur de sa part qui
m’a empeché d’aller le voir à son
passage. Ma visite à un homme qui
ne me visite pas, me parut une démar-
-che beaucoup trop empressée auprès
d’un homme qui ne l’est guères et
n’aurait provoqué de sa part rien de
plus que ce qu’il avait fait deja.

Vous comprenez pourquoi j’ai remis
de jour en jour à vous avertir de tout
cela : d’ici à quelque jour, j’aurai eu
j’espère mon audience et vous en
manderai aussitôt le resultat.


Le temps que vous trouvez beau
est encore bien incertain et bien froid
ici pour un convalescent ; il sera tout
a fait beau quand vous entreprendrez le
voyage qui doit nous réunir et nous
consoler des ennuis de la vie laquelle en
engendre un nouveau tout les matins.

Je vous embrasse bien cher cousin
a Bientôt

EugDelacroix

 

 

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