Lettre à Guillaume Auguste, 22 mars 1860

  • Cote de la lettre ED-IN-1860-MAR-22-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 22 Mars 1860
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 161-163.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 62
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Transcription modernisée

 

Ce 22 mars 1860

Cher cousin,

 

J’ai pu aller hier à la Légion d’honneur et j’y ai éprouvé divers désappointements. Le général Maizières, qui m’avait très bien reçu précédemment, a pris sa retraite depuis plus de deux mois1. Je n’ai pu encore voir le nouveau secrétaire général2: j’ai voulu auparavant m’informer dans les bureaux des papiers envoyés de Strasbourg. Le chef de bureau m’a dit que vos états de service envoyés avec la lettre du préfet n’ont point la garantie nécessaire pour servir de pièces probantes. Il faudrait, m’a-t-il dit, des preuves authentiques de vos diverses fonctions, dûment légalisées. Cette objection m’a paru fort dure et entraînera des ennuis. Le malheur de notre position est que je n’ai pas les appuis sur lesquels j’aurais pu compter. M. Fouché3, en se retirant, se flattait que le secrétaire général, avec lequel il était dans d’excellents rapports, pourrait jusqu’à un certain point le suppléer. Je n’ai eu au reste qu’à m’en louer, et voilà qu’il se retire aussi et me laisse une nouvelle connaissance à faire. Je m’afflige qu’un homme qui a autant de titres que vous soit dans le cas de se faire recommander plus que le dernier commis, qui a l’oreille de son chef et qu’on voit obtenir tous les jours la décoration : certes, le valet de chambre de M. de Malakoff4 a infiniment plus de chances de faire décorer son fils ou son neveu que tous les hommes de mérite de la France qui n’ont point l’influence indispensable. Ceci n’est pas une plaisanterie malheureusement. De tous les hommes que les membres de l’Institut qui faisaient partie du jury de l’Exposition ont présentés pour la croix, après une due appréciation de leur mérite, pas un seul ne l’a obtenue : c’est qu’ils ne peuvent eux-mêmes ni rendre service, ni intéresser les distributeurs des grâces.

Si vous pouvez arriver jusqu’à un certain point à faire légaliser vos états de service, on n’aura plus du moins cette objection à me faire, dont je suis sûr que M. Fouché n’eût pas parlé ! Je verrai alors le nouveau secrétaire général et enfin je ferai appel à la bonne volonté de M. Delangle5. S’il prend la chose avec chaleur, ce sera notre véritable chance de réussite.

Je suis bien désolé, cher cousin, de concevoir un peu de noir à propos de notre poursuite : malgré bien des démarches infructueuses, je ferai toutes celles qui me paraîtront nécessaires. C’est au moins tout ce que je puis vous promettre et je m’y porterai avec un vif désir de réussir. Je vais mieux, quoique je ne travaille pas encore. Je commence à sortir et je m’en trouve bien, quand le temps est passable ; par malheur cela est rare.

Je ne sais si la recommandation du préfet a agi auprès de l’administration. Le chef de bureau m’en a parlé assez froidement. Je vous dirai sur tout cela beaucoup de choses, que j’ajourne à notre réunion : je voudrais avoir reconquis toute ma santé pour ne pas vous montrer ma mine amaigrie et pour pouvoir faire galamment nos promenades.

M. Marcotte6, que j’ai vu dernièrement, m’a appris la mort de M. Fix7. J’ai été douloureusement surpris de ce triste événement, qui doit, je suppose, affecter de même sa femme.

Adieu, cher cousin : pardon de ma lettre d’affaires et surtout d’affaires embrouillées : ce qui reste clair et sincère, c’est mon attachement inaltérable pour vous et mes souhaits pour votre bonheur et votre santé.

Eugène Delacroix

 


1 Le Général de brigade Maizière, secrétaire général de la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, en poste de 1853 à 1860 puis de 1861 à 1867.
2 Le Général de brigade Eynard.
3
Edmond Fouché-Lepelletier, voir à son sujet la lettre du 22 septembre 1859 (note 5), la lettre du 17 octobre 1859 (note 1), la lettre du 12 novembre 1859 (note 1), la lettre du 13 décembre 1859 (note 4).
4 Aimable-Jean-Jacques Pélissier, duc de Malakoff. Voir à ce sujet la lettre du 13 décembre 1859 (note 3), la lettre du 15 décembre 1859 (note 2), la lettre du 28 décembre 1859 (note2).
5 Le ministre de la Justice. Voir la lettre du 28 décembre 1859, la lettre du 23 février 1860 (note 5), la lettre du 16 avril 1860, la lettre du 18 avril 1860.
6 Edmond Marcotte de Quivières (1804-1881). Directeur des douanes à Strasbourg. En 1855, Delacroix note son nom dans le "carnet de Bade/Strasbourg". Il est chevalier de la Légion d’honneur, membre puis président de la Société des Amis des arts de Strasbourg. Sa famille possède une collection de tableaux et de dessins. Delacroix l’a certainement rencontré lors de ses séjours chez son cousin (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 2268-2269).
7 Voir la lettre du 17 octobre 1859 (note 3), la lettre du 28 décembre 1859 (note 5).

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 22 mars 1860.

Cher cousin,

 

J’ai pu aller hier à la légion
d’honneur et j’y ai eprouvé divers désap-
-pointements. Le general Maizières
qui m’avait très bien reçu precedemment
a pris sa retraite depuis plus de deux
mois. Je n’ai pu encore voir le nouveau
secretaire general : j’ai voulu auparavant
m’informer dans les bureaux des papiers
envoyés de Strasbourg. le chef de
bureau m’a dit que vos etats de service
envoyés avec la lettre du prefet n’ont
point la garantie nécessaire pour servir
de pièces probantes. Il faudrait m’a t’il
dit, des preuves authentiques de vos
diverses fonctions, duement legalisées.
Cette objection m’a paru fort dure
et entrainera des ennuis. Le malheur
de notre position est que je n’ai pas les

 

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appuis sur lesquels j’aurais pu
compter. Mr Foucher en se retirant
se flattait que le secretaire general
avec lequel il etait dans d’excellents
rapports pourrait jusqu’à un certain
point le suppleer. Je n’ai eu au reste
qu’à m’en louer et voila qu’il se
retire aussi [mot interlinéaire] et me laisse une nouvelle
connaissance à faire. Je m’afflige
qu’un homme qui a autant de titres
que vous, soit dans le cas de se faire
recommander plus que le dernier
commis qui a l’oreille de son chef
et qu’on voit obtenir tous les jours
la décoration : certes le valet de
chambre de M. de Malakoff a infini-
-ment plus de chances de faire decorer
son fils ou son neveu que tous les
hommes de mérite de la France qui
n’ont point l’influence indispensable.
Ceci n’est pas une plaisanterie malheu-
-reusement. De tous les hommes que

 

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les membres de l’institut qui fesaient
partie du jury de l’exposition ont presenté
pour la croix, après une due appreciation
de leur mérite, pas un seul ne l’a obtenu :
C’est qu’ils ne peuvent eux mêmes ni
rendre service, ni interesser les distribu-
-teurs des graces.

Si vous pouvez arriver jusqu’à [2 mots interlinéaires] à un certain
point a faire [mot interlinéaire] légaliser vos etats de service, on
n’aura plus du moins cette objection
à me faire dont je suis sûr que Mr
Foucher n’eut pas parlé ! Je verrai alors
le nouveau secretaire general et enfin
je ferai appel à la bonne volonté de
Mr Delangle. S’il prend la chose avec
chaleur, ce sera notre veritable chance
de reussite.

Je suis bien désolé, cher cousin, de
[mot barré illisible] concevoir un peu de noir
à propos de notre poursuite : malgré
bien des demarches infructueuses, je
ferai toutes celles qui me paraîtront né-
-cessaires. C’est au moins tout ce que je
puis vous promettre et je m’y porterai
avec un vif desir de réussir. Je vais

 

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mieux quoique je ne travaille pas
encore. Je commence à sortir et je m’en
trouve bien quand le temps est passable
par malheur cela est rare.

Je ne scais si la recommandation
du prefet a [mot barré illisible] agi [mot interlinéaire] aupres de l’admi-
-nistration. Le chef de bureau m’en
a parlé assez froidement. Je vous dirai
sur tout cela beaucoup de choses que
j’ajourne à notre réunion : je voudrais
avoir reconquis toute ma santé pour
ne pas vous montrer ma mine amai-
-grie et pour pouvoir faire galamment
nos promenades.

Mr Marcotte que j’ai vu derniere-
-ment m’a appris la mort de M Fix
j’ai eté douloureusement surpris de ce
triste evenement qui doit je suppose af-
-fecter de même sa femme.

Adieu cher cousin : pardon de
ma lettre d’affaires et surtout d’affaires
embrouillées : ce qui reste clair et sincere
c’est mon attachement inalterable pour
vous et mes souhaits pour votre bonheur
et votre santé.

EugDelacroix

 

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