Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 22 septembre 1859

  • Cote de la lettre ED-IN-1859-SEPT-22-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 22 Septembre 1859
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 120-122.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,6
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 51
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Transcription modernisée

 

Ce 22 septembre 1859

 

Cher et bon cousin,

 

Voilà déjà quelque temps que je suis de retour à Paris1. Aussitôt mon retour, je me suis jeté à corps perdu sur mon travail, qui marche bien et qui, je m’en flatte peut-être trop, me donnera de bons résultats2. Je vous ai quitté avec un serrement de cœur que vous comprendrez facilement. Mon odyssée ce jour-là, paisible au commencement, a été accompagnée à la fin de la pluie la plus féroce, du tonnerre et des éclairs. Arrivé à la station du chemin de fer où je devais m’arrêter, je me suis embarqué dans une espèce de « tape-cul » (excusez l’expression) que mon cousin de Champagne avait envoyé au-devant de moi3. Les cahots et les secousses dans ce véhicule non suspendu et traîné par une rosse n’étaient que des roses, en comparaison des épreuves qu’il m’a fallu subir pendant six ou huit lieues de pays à travers des chemins ébauchés et des forêts où j’ai, en cette voiture découverte, supporté une pluie battante tout le temps. Heureusement que le bon accueil du parent a adouci ces petites souffrances, qui en définitive font vivre et varient les émotions. J’ai passé là quelques jours de plus que je ne m’étais promis. Le parent avait convoqué le ban et l’arrière-ban des cousins et cousines à plusieurs degrés, tous enchantés de faire ma connaissance : je n’ai pu me soustraire à leur empressement4 ; cependant me voici de retour depuis huit jours et toujours bien portant. Je dois une grande partie de cette bonne santé à l’excellent régime que j’ai suivi chez vous.

Je me suis informé aussitôt de ce qui pouvait me mettre sur la trace de ce qui est propre à avancer l’affaire que j’ai à cœur et qui vous concerne. M. Fouché5, qui est celui sur lequel je compte pour la Légion d’honneur, est en Italie. C’est un contretemps qui ajourne toute démarche. On n’a pu me dire quand il reviendrait d’une manière précise : mais cela ne peut aller au-delà de quinze jours ou trois semaines. Je vous tiendrai au courant de tout.

Dites-moi le plus tôt possible un mot de vous et de ce que vous avez fait. Avez-vous été à Bade, profiter des derniers beaux jours ? Il faut se remuer et sortir de ses pantoufles. Quand les médecins nous envoient prendre les eaux, c’est le mouvement qu’ils vous ordonnent ; lui seul est le médecin de l’homme : repos et mouvement : toute l’hygiène est là-dedans, en combinant les proportions.

Adieu, cher cousin et respectable ami : j’ai passé dans votre paisible retraite d’heureux moments, dont je vous remercie de cœur. Dites-moi que ma présence vous a donné dans votre solitude un peu de douceur et je serai bien heureux de cette réciprocité.

Votre sincèrement dévoué parent et ami,

Eugène Delacroix

Jenny se confond en remerciements et en respect pour le cadeau que vous m’avez chargé de lui porter et qu’elle conservera avec beaucoup de bonheur.

 


1 Delacroix avait quitté Strasbourg le 3 septembre et, après un détour à Ante-en-Argonne, il regagna Paris le 15 septembre (Journal,éd. Hannoosh, t. II, p. 1278).
2 La Chapelle des Saints-Anges à l’église Saint-Sulpice.
3 Il s’agit de Philogène Delacroix qui l’a invité à Ante-en-Argonne (Champagne).
4
Delacroix note dans son Journal, le 9 septembre 1859 : " Les cousines sont arrivées dans la nuit. Promenade le matin avec le cousin dans la plaine riante où sont ses pièces [pièces de terre]. J’y ai dessiné"(Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1278).
5 Edmond Fouché-Lepelletier (1809-1894), industriel, député de la Seine et conseiller municipal de Paris. Il fut membre du jury de l’Exposition universelle de 1855 et conseiller municipal avec Delacroix de 1853 à 1864. Fouché-Lepelletier est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1851. Delacroix compte sur son aide pour faire avancer la demande de décoration pour son cousin, Guillaume-Auguste Lamey (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 2194).

 

 

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 22 sept. 1859.

Cher et bon cousin,

 

Voila deja quelque temps
que je suis de retour a Paris. Aus-
-sitot mon retour, je me suis jetté
à corps perdu sur mon travail qui
marche bien et qui, je m’en flatte
peut etre trop, me donnera de
bons resultats. Je vous ai quitté
avec un serrement de cœur que
vous comprendrez facilement.
Mon odyssée ce jour là, paisible
au commencement, a eté accompagnée
a la fin de la pluie la plus feroce
du tonnerre et des eclairs. Arrivé
à la station du chemin de fer où
je devais m arreter, je me suis
embarqué dans une espece de
tape cu (excusez l’expression) que
mon cousin de Champagne avait
envoyé au devant de moi. Les

 

Page 2

 

cahos et les secousses dans ce
vehicule non suspendu et
traîné par une rosse, n’etaient
que des roses, en comparaison
des épreuves qu’il m’a fallu
subir pendant six ou huit
lieues de pays à travers des
chemins ebauchés et des forets
où j’ai, en cette voiture découverte
supporté une pluie battante tout
le temps. Heureusement que le
bon accueil du parent à adouci
ces petites souffrances, qui, en definitive
font vivre et varient les emotions.
J’ai passé là quelques jours de plus
que je ne m’etais promis. [mot barré illisible] le
parent avait convoqué le ban
et l’arriere ban des cousins
et cousines à plusieurs degrés, tous en-
-chantés de faire ma connaissance :
Je n’ai pu me soustraire à leur
empressement : cependant me voici

 

Page 3

 

de retour depuis huit jours et
toujours bien portant. Je dois une
grande partie de cette bonne
santé à l’excellent régime que
j’ai suivi chez vous.

Je me suis informé aussitot
de ce qui pouvait me mettre sur
la trace de ce qui est propre à
avancer l’affaire que j’ai à cœur
et qui vous concerne. M. Fouché,
qui est celui sur lequel je
compte pour la legion d’honneur
est en Italie. C’est un contretemps
qui ajourne toute démarche.
on n’a pu me dire quand il
reviendrait d’une manière précise :
Mais cela ne peut aller au dela
de 15 jours ou trois semaines Je
vous tiendrai au courant de tout.

Dites moi le plutot possible
un mot de vous et de ce que vous
avez fait. Avez-vous eté à Bade,
profiter des derniers beaux jours. Il
faut se remuer et sortir de ses

 

Page 4

 

pantoufles. Quand les medecins
nous envoient prendre les eaux,
c’est le mouvement qu’ils vous
ordonnent ; lui seul est le medecin
de l’homme : repos et mouvement :
toute l’hygiene est la dedans en
combinant les proportions.

Adieu cher cousin et respectable
ami : j’ai passé dans votre paisible
retraite d’heureux moments dont
je vous remercie de cœur. Dites
moi que ma présence vous a
donne dans votre solitude un
peu de douceur : je serai bien
heureux de cette reciprocite.

Votre sincerement devoue
parent et ami

EugDelacroix

Jenny se confond en remerciements
et en respect pour le cadeau que
vous m’avez chargé de lui porter et
qu elle conservera avec beaucoup de
bonheur.

 

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