Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 8 août 1859

  • Cote de la lettre ED-IN-1859-AOU-08-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 08 Août 1859
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 115-117.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 49
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Transcription modernisée

 

Ce 8 août 1859


Cher et bon cousin,

 

J’ai reçu avec bien du plaisir votre lettre du 1er août et je commençais à m’ennuyer de votre silence. Je vois heureusement que la cause en est uniquement votre paresse : c’est un mal dont je suis atteint si souvent moi-même que je n’ai pas le droit de le reprocher aux autres. Enfin, vous êtes bien et nos dispositions tiennent toujours. Je vous préviendrai ultérieurement du moment précis où je me mettrai en route pour aller vous embrasser.

Ma santé était excellente depuis plus de six mois. Depuis quelques jours j’ai éprouvé de petits inconvénients d’estomac. Vous savez que c’est chez moi la partie faible : j’étais à la campagne, j’ai mangé des fruits : j’attribue à cela mon dérangement. Je me remets à un régime sévère qui, j’espère, me fera retrouver ma situation précédente.

Vous me parlez assez obscurément de vos idées sur la guerre. Ce qui vous paraît confus, dans tout cela, me semble une marche naturelle quoique peu ordinaire des choses. Je parle pour ce qui vient de se passer. Quant à ce que l’avenir nous prépare, et ce que feront les amitiés et les brouilles nouvelles d’ici à quelque temps, c’est ce qui n’est pas aussi facile de démêler. J’en laisse le soin à ceux qui digèrent bien : quant à moi, je suis plus occupé de mon dîner que de la balance de l’Europe1.

Nous traiterons tout cela à fond : j’espère, si mon indisposition n’a pas de suites, avoir avancé notablement mon travail2, qui me semble en bon chemin après beaucoup de remaniements : « corrigez-le sans cesse et souvent effacez » ; je suis le précepte du grand critique.

Je vois Guillemardet très rarement. Il est très homme du monde, comme vous dites. Il y a six semaines, je passai chez lui un matin : il était allé voir ses sœurs à Passy et se préparait, m’a-t-on dit, à faire un voyage en Bourgogne, où probablement il est encore.

Adieu, cher et respectable ami : soignez-vous bien par ce temps détestable, dont moi-même je souffre beaucoup.

Je vous embrasse de cœur.

Eugène Delacroix

Jenny vous remercie bien respectueusement de votre bon souvenir. La pauvre femme est bien souffrante toujours.

 


1 L’armistice de Villafranca signé le 11 juillet 1859 terminait la guerre avec l’Autriche, en arrêtant la libération complète de l’Italie qui avait été promise par Napoléon à ses alliés.
2 La chapelle des Saints-Anges de l’église Saint-Sulpice.

 

 

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 8 aout 1859

Cher et bon cousin,

 

J’ai reçu avec bien du
plaisir votre lettre du 1er août et je
commençais à m’ennuyer de votre
silence. Je vois heureusement que
la cause en est uniquement votre
Paresse : c’est un mal dont je suis atteint
si souvent moi même que je n’ai pas [mot interlinéaire] le
droit de le reprocher aux autres. Enfin,
vous etes bien et nos dispositions tiennent
toujours. Je vous préviendrai ulterieu
-rement du moment précis où je
me mettrai en route pour aller vous
embrasser.

Ma santé etait excellente depuis
plus de six mois. Depuis quelques jours
j’ai eprouvé de petits inconveniens
d’estomac. Vous savez que c’est chez
moi la partie faible : j’etais à la campagne,
j’ai mangé des fruits : j’attribue à cela

 

Page 2

 

mon dérangement. Je me remets
à un régime sevère qui j’espere
me fera retrouver ma situation
précedente.

Vous me parlez assez obscurément
de vos idées sur la guerre. Ce qui vous
parait confus dans tout cela, me
semble une marche naturelle quoique
peu ordinaire des choses. Je parle
pour ce qui vient de se passer. Quant
à ce que l’avenir nous prepare, et [mot interlinéaire] ce
que feront les amitiés et les brouilles
nouvelles d’ici à quelque temps, c’est
ce qu’il n’est pas aussi facile de demêler.
J’en laisse le soin à ceux qui digerent
bien : quant à moi je suis plus occupé
de mon diné, que de la balance de
l’Europe.

Nous traiterons tout cela à fond :
j’espere, si mon indisposition n’a pas
de suites, avoir avancé notablement
mon travail, qui me semble en bon

Page 3

 

chemin après beaucoup de
remanîments : corrigez le sans cesse et
souvent effacez
; je suis le precepte du
grand critique.

Je vois Guillemardet très rare-
-ment. Il est très homme du monde
comme vous dites. Il y a six
semaines je passai chez lui un
matin : il etait alle voir ses sœurs
à Passy et se préparait, m’a t’on dit,
à faire un voyage en Bourgogne
où probablement, il est encore.

Adieu cher et respectable ami :
Soignez vous bien par ce temps detes-
-table dont moi même je souffre
beaucoup.

Je vous embrasse de cœur

EugDelacroix

Jenny vous remercie bien res-
-pectueusement de votre bon souvenir.
La pauvre femme est bien souffrante
toujours.

 

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