Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 26 mai 1859

  • Cote de la lettre ED-IN-1859-MAI-26-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 26 Mai 1859
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 102-104.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 46
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Transcription modernisée

 

Ce 26 mai 1859

Cher et bon cousin,

 

Je suis bien coupable d’avoir été si longtemps sans vous écrire. Je vais vous dire toutes les raisons, bonnes ou mauvaises, qui m’en ont empêché.

J’avais à cœur, et cela m’est venu brusquement, de mettre quelque chose à l’Exposition1. Il m’a fallu, après mes indispositions de cet hiver, m’y mettre tout entier : j’étais assez content de mon envoi2 et cependant j’ai été très houspillé par la critique : les uns ont pris mon parti, d’autres m’ont attaqué : bref, j’ai éprouvé un moment de vive contrariété. Si j’étais un homme prudent, je serais resté sur mes petits succès passés : c’est ce que certaines personnes m’avaient conseillé. La guerre aidant3, les marchands de tableaux sont devenus rétifs à l’endroit de l’achat des tableaux et vous voyez les conséquences.

Il y a une raison surtout qui m’a fait retarder de vous écrire. Je voulais et j’espérais avoir quelque chose à vous dire touchant Hunyades4. Après des recherches infructueuses, on m’a enfin adressé à un auteur de pièces qui ne s’en occupe plus qu’à ses loisirs mais qui, m’a-t-on assuré, était homme à tirer bon parti de la pièce. Elle est enfin entre ses mains et quand il aura pris le temps de la lire et de la méditer, il me dira s’il peut s’en charger. Je dois vous dire qu’il sabrera probablement beaucoup : il n’a besoin, m’a-t-il dit, que d’une « idée » et, s’il la trouve, il arrangera le tout à sa façon et à la moderne, bien entendu. Quand il me rendra réponse, je me ferai rendre compte par lui de ce qu’il compte ajouter de son crû et laisser de l’ouvrage primitif, et je vous le dirai afin que vous jugiez jusqu’à quel point vous voulez qu’il reste de vous dans votre ouvrage. Je désire vivement que tout cela soit à votre satisfaction.

Cette guerre, qui finira comme elle pourra et quand elle pourra, n’arrange provisoirement les affaires de personne. Je m’en vais pendant les longs jours de l’été me confiner dans mon église pour la terminer ou au moins pour l’avancer notablement5. Il en résulte que je ne pourrai aller vous embrasser que vers la fin d’août ou le commencement de septembre. J’ai pensé aussi qu’à cette époque nous serions moins accablés par la chaleur, qui nous forçait à rester tout le jour à la maison. Quant à ma petite campagne6, je n’irai pas quinze jours cette année, grâce à ma résolution d’achever mon travail de Saint-Sulpice.

Voilà, cher cousin, beaucoup de prose en récompense de mon long silence. Je jouis par avance des petits changements de votre jardin. Le mien, je parle de celui de Paris, est encore pour moi d’une certaine ressource ; il est passablement entretenu et me fait respirer l’air dans l’intervalle de mes séances de travail.

J’espère, bon et cher ami, que votre santé se sera maintenue : écrivez-le moi vite et ne me punissez pas de mon oubli apparent en me faisant attendre à mon tour de vos chères nouvelles.

Je vous embrasse tendrement.

Eugène Delacroix

Jenny, toujours très souffrante, vous remercie bien respectueusement de votre souvenir.

 


1 Au Salon de 1859 qui s’est ouvert le 15 avril.
2 Voir la note 1 de la lettre du 26 mars 1859 à Pierre-Antoine Berryer.
3 La campagne d’Italie de 1859.
4 Drame écrit en vers par son cousin. A ce sujet voir la lettre du 11 mai 1858 et la lettre du 26 mars 1859 écrites à son cousin.
5
La chapelle des Saint-Anges de l’église Saint-Sulpice.
6
Delacroix avait acheté à l’automne 1858 la petite maison dont il était locataire depuis des années à Champrosay. Voir à ce sujet la lettre du 6 septembre 1858 à Pierre-Antoine Berryer.

 

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 26 mai
1859

Cher et bon cousin

Je suis bien coupable
d’avoir eté si longtemps sans vous
ecrire. Je vais vous dire toutes les
raisons bonnes ou mauvaises qui
m’en ont empeché

J’avais à cœur, et cela m’est venu
brusquement, de mettre quelque chose
à l’exposition. Il m’a fallu, après mes
indispositions de cet hiver, m’y mettre
tout entier : j’etais assez content de
mon envoi et cependant j’ai eté
très houspillé par la critique : les uns
ont pris mon parti, d’autres m’ont
attaqué : Bref j’ai eprouvé un moment
de vive contrariété. Si j’etais un
homme prudent je serais resté sur mes
petits succès passés : c’est ce que certaines
personnes m’avaient conseillé. La
guerre aidant, les marchands de tableaux

Page 2

 

sont devenus retifs à l’endroit
de l’achat des tableaux et vous
voyez les conséquences.

il y a une raison surtout qui m’a
fait retarder de vous ecrire. Je voulais
et j’esperais avoir quelque chose à
vous dire touchant Hunyades. apres
des recherches infructueuses, on m’a
enfin adressé à un [mot barré illisible] auteur de
pièces qui ne s’en occupe plus qu’à ses
loisirs, mais qui m’a t’on assuré etait
homme à tirer bon parti de la piece.
Elle est enfin entre ses mains et
quand il aura pris le temps de la
lire et de la méditer il me dira s’il
peut s’en charger. Je dois vous dire
qu’il sabrera probablement beaucoup : il
n’a besoin m’a t’il dit que d’une idée
et s’il la trouve il arrangera le tout
à sa façon et à la moderne bien -
entendu. Quand il me rendra reponse,
je me ferai rendre compte par lui de
ce qu’il compte ajouter de son crû et
laisser de l’ouvrage primitif et je vous le
dirai afin que vous jugiez jusqu’à quel

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point vous voulez qu’il reste de
vous dans votre ouvrage. Je desire
vivement que tout cela soit à votre
satisfaction.

Cette guerre qui finira comme
elle pourra et quand elle pourra, n’ar-
-range provisoirement les affaires de
personne. Je m’en vais pendant les
longs jours de l’eté [3 mots interlinéaires] me confiner dans mon
eglise pour la terminer ou au moins pour
l’avancer notablement. Il en resulte que
je ne pourrai aller vous embrasser que
vers la fin d’août ou le commencement
de septembre. J’ai pensé aussi qu’à cette
epoque nous serions moins accablés par
la chaleur qui nous forçait à rester [mot interlinéaire] [mot barré illisible]
tout le jour à la maison. quant
à ma petite campagne, je n’irai
pas quinze jours cette année, grâce
à ma resolution d’achever mon travail
de St Sulpice.

Voila, cher cousin, beaucoup de
prose en récompense de mon long
silence. Je jouis par avance des petits
changements de votre jardin. Le mien,


 

Page 4

 

je parle de celui de Paris, est
encore pour moi d’une certaine
ressource ; il est passablement entretenu
et me fait respirer l’air dans l’inter-
-vale de mes séances de travail.

J’espere, bon et cher ami, que votre
santé se sera maintenue : ecrivez le
moi vite et ne me [mot barré illisible] punissez
pas de mon oubli apparent en me
faisant attendre à mon tour de vos
chères nouvelles.

Je vous embrasse tendrement.

EugDelacroix

Jenny, toujours très souffrante vous
remercie bien respectueusement de votre
souvenir.

 

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