Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 3 septembre 1857

  • Cote de la lettre ED-IN-1857-SEPT-03-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 03 Septembre 1857
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 410-411.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,6x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 32
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Transcription modernisée

 

Paris, 3 septembre 1857

Cher et bon cousin,

Me voici de retour à Paris sans trop de fatigue1. J’augure bien de mon voyage à Plombières pour ma santé future2. Jusqu’ici l’estomac me semble en meilleur état : reste à savoir si les inconvénients de Paris et les affaires auxquelles il m’est impossible de me soustraire me laisseront la continuation de ces bons effets.

Je suis impatient de savoir comment vous vous trouvez. Je pense que vous aurez été à Bade et que cette distraction par le beau temps n’aura pu que vous être favorable3. Votre régime si bien adapté à votre tempérament vous mettra en état de bien traverser l’hiver, qui est pour nous deux la saison critique. Donnez-moi donc de vos nouvelles : ce muet entretien, qui ne vaut pas la présence réelle, est pourtant un grand soulagement à l’absence. Malgré la vie solitaire que je mène ici autant que cela est possible à Paris, je regretterai souvent notre tranquillité véritable de Strasbourg et combien elle était salutaire, en particulier pour ma santé délabrée et mon esprit fatigué ou inquiet. Dans votre paisible ville tout me semblait respirer le calme ; ici je ne vois sur tous les visages qu’une fièvre ardente, et les lieux mêmes semblent livrés à une vicissitude perpétuelle. Ce monde nouveau, bon ou mauvais, qui cherche à se faire jour à travers nos ruines, est comme un volcan sous nos pieds et ne permet de reprendre haleine qu’à ceux qui, comme moi, commencent à se regarder comme étrangers à ce qui se passe et pour qui l’espérance se borne à un bon emploi de la journée présente. Je ne suis encore sorti qu’une fois dans les rues de Paris : j’ai été épouvanté de toutes ces figures d’intrigants et de prostituées4.

Adieu, cher cousin et ami. J’ai pensé souvent, en parcourant les montagnes de Plombières, à nos bonnes promenades et à nos bons entretiens. Croyez à mon bien sincère et profond attachement.

Eugène Delacroix

Je vous prie de me rappeler au souvenir des personnes de votre connaissance dont j’ai reçu bon accueil à Strasbourg, quand vous les rencontrerez.

 


1 Delacroix a séjourné à Strasbourg chez son cousin du 28 juillet au 8 août 1857. Il écrit ce jour-là : " Quitté Strasbourg et le bon cousin. Je perds la canne qu’il m’avait donné. Je m’embarque mal " (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1165).
Le 8 août, il retrouve Jenny à Nancy et visite la ville jusqu’au 10 août. Il note ses excursions dans son Journal : la cathédrale, le palais ducal, l’église des Cordeliers, l’église de Bon-Secours et le musée de la ville qui expose, entre autres, un de ses tableaux : La Bataille de Nancy (daté de 1831, exposé au Salon de 1834).  A la suite de sa visite au musée, il écrit : "mon tableau est placé trop haut et privé de lumière ; toutefois, il ne m’a pas déplu" (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1169). Le tableau est toujours conservé au musée des Beaux-Arts de Nancy.
2 Après son court séjour à Nancy,  Delacroix et Jenny partent à Plombières (Vosges) pour "prendre les eaux". Ils y séjournent du 10 au 31 août 1857. La ville était réputée soigner les maladies de digestion, les affections nerveuses, la goutte et les rhumatismes. Sous le Second Empire, Plombières était très fréquentée par de hautes personnalités (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1171).
3 Bade est une des villes thermales les plus fréquentées d’Europe.
4 Sur la lettre, en haut à gauche, mention manuscrite au crayon : " la fin de la lettre recopiée par D. dans le journal, III p. 289". Effectivement, Delacroix recopie une partie de sa lettre dans son Journal depuis " Malgré la vie solitaire que je mène ici [...]" jusqu’à la fin du paragraphe (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1173).

 

Transcription originale

Page 1

Paris 3 7bre 1857.

 

Cher et bon cousin,

 

Me voici de retour
à Paris sans trop de fatigue. J’augure
bien de mon voyage à Plombieres
pour ma santé future. Jusqu’ici l’es-
-tomac me semble en meilleur etat :
reste à savoir si les inconveniens de
Paris et les affaires auxquelles il m’est
impossible de me soustraire, me laisseront [mot interlinéaire] [début de mot barré illisible]
[fin de mot barré illisible] la continuation de ces bons
effets.

Je suis impatient de savoir comment
vous vous trouvez. Je pense que vous
aurez eté à Bade et que cette dis-
-traction par le beau temps n’aura pu
que vous être favorable. Votre régime
si bien adapté à votre temperament
vous mettra en etat de bien traverser
l’hiver qui est pour nous deux la
saison critique. Donnez moi donc de
vos nouvelles : ce muet entretien qui

Page 2

 

ne vaut pas la présence réelle, est
pourtant un grand soulagement
à l’absence. Malgré la vie solitaire
que je mène ici autant que cela
est possible à Paris, je regretterai
souvent notre tranquillité véritable
de Strasbourg et combien elle etait
salutaire en particulier pour ma
santé delabrée et mon esprit fatigué
ou inquiet. Dans votre paisible ville
tout me semblait respirer le calme ;
ici je ne vois sur tous les visages
qu’une fièvre ardente et les lieux
mêmes semblent livrés à une vicissitude
perpetuelle. Ce monde nouveau bon
ou mauvais qui cherche a se faire
jour à travers nos ruines, est
comme un volcan sous nos pieds et
ne permet de reprendre haleine qu’à
ceux qui comme moi, commencent à
se regarder comme etranger à ce qui
se passe [fin du mot « nt » raturée] et pour qui l’esperance se
borne à un bon emploi de la

 

Page 3

 

journée présente. Je ne suis encore
sorti qu’une fois dans les rues de
Paris : j’ai eté epouvanté de toutes
ces figures d’intrigans et de prostituées.

Adieu cher cousin et ami. J’ai
pensé souvent en parcourant les
montagnes de Plombières, à nos
bonnes promenades et à nos bons entre-
-tiens. Croyez à mon bien sincère
et profond attachement.

EugDelacroix

 

Je vous prie de me rappeler au
souvenir des personnes de votre [mot intercalaire] connaissance
dont j’ai reçu bon accueil à
Strasbourg quand vous les rencontre-
-rez.

 

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