Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 01 août 1862

  • Cote de la lettre ED-MD-1862-AOU-01-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 01 Août 1862
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 72 (partiellement); Joubin, Corr. gén, T. IV, p. 326 (idem).
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,6x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/134
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Champrosay ce 1er août 1862

 

Cher et bien respecté cousin, je ne vous dirai pas à quel point votre lettre m’a charmé1 : il y a tant de temps que je n’ai eu le bonheur de vous voir que l’occasion que vous m’offrez m’enchante. Puisque vous avez la bonté de me donner le choix des moments, ce mois d’août serait pour moi une occasion de dérangements, à Paris et ailleurs. Mais je serai tout à fait libre à partir du 26 ou 27, et quelques bons jours ininterrompus dans le mois de 7bre 2 me laisseront près de vous oublier cet infernal charivari de nos gloires, de notre industrie, de nos progrès en tous genres qui ne laisseront plus rien à faire à nos neveux, mais que je déteste et qui m’importunent à un point que vous devez comprendre à merveille à la manière charmante dont vous les caractérisez. Quel bonheur au contraire de trouver chez vous égales sympathies et égales antipathies. Hugo, Racine3, voilà à mon avis les types qui résument le génie de notre incomparable époque et celle que nos bons aïeux avaient la simplicité de mettre au dessus de tout. Je m’arrête sur ces sujets qui me conduisent tout droit à l’indignation contre mon espèce. Elle contient heureusement quelques exemples de dignité et de sujets de vénération. Vous que tout le monde admire et que j’aime tendrement pardessus le marché, vous êtes un de ces modèles qui encouragent et qui consolent. J’ai besoin de cela : je m’attriste et je m’ennuie. La vie est ce que vous savez. Les années qui s’accumulent sont loin de lui donner du prix. La goutte, de mauvais yeux et le reste la rendent fort insipide. L’ennui en un mot, indépendamment de la souffrance, voilà les monstres qu’il faudrait combattre, mais il faut aussi de l’énergie pour savoir s’amuser.

Je vais abuser de votre bonté en vous priant de me dire si les derniers jours de ce mois et les premiers de 7bre je puis vous trouver sous vos ombrages, et si c’est toujours la voie de Fontainebleau qu’il faut prendre, quel train de Paris correspond avec la favorable voiture de Puyseaux4. Pardonnez-moi de vous donner l’ennui de ces détails, j’irai bien heureux vous réitérer l’assurance de tout mon respect et de mon affection dévouée.

Eug. Delacroix

Je passerai quelques jours chez Mad. la Mse de La Grange que je n’ai pas vu depuis bien longtemps. Voilà encore un type qu’on ne trouve pas chez Mr Hugo.


1 Delacroix répond à une lettre que Berryer lui avait écrite le 30 juillet 1862 (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/133) pour l’inviter à le rejoindre à Augerville près de Malesherbes (Loiret) où il avait une propriété.

2 Delacroix se rendit en fait à l’invitation de Berryer seulement en octobre et séjourna à Augerville du 7 au 27.

3 Delacroix répond précisément à un passage de la lettre de Berryer où celui-ci énumère les sujets de conversation qu’ils pourront avoir ensemble.

4 Avant de se rendre à Augerville, Delacroix s’inquiétait toujours de l’itinéraire et des horaires. Puiseaux, commune située dans le Loiret, à la frontière actuelle des deux départements de Seine-et-Marne et de l’Essonne.

 

Transcription originale

Page 1

Champrosay ce 1er aout
1862.

Cher et bien respecté cousin, je
ne vous dirai pas à quel point votre
lettre m’a charmé : il y a tant de
temps que je n’ai eu le bonheur de
vous voir que l’occasion que vous
m’offrez m’enchante. Puisque vous
avez la bonté de me donner le choix
des moments, ce mois d’aout serait
pour moi une occasion de déran-
-gements, à Paris et ailleurs : mais je serai [2 mots interlinéaires]
tout à fait libre [4 mots interlinéaires] à partir du 26 ou 27 et quelques
bons jours ininterrompus dans le
mois de 7bre me laisseront près de
vous oublier cet infernal charivari
de nos gloires, de notre industrie
de nos progrès en touts genres qui ne
laisseront plus rien à faire à nos neveux
mais que je deteste et qui m’impor-
-tunent à un point que vous devez
comprendre à merveille à la maniere

 

Page 2

 

mot, indépendamment de la
souffrance, voila les monstres qu’il
faudrait combattre : mais il faut
aussi de l’energie pour savoir
s’amuser.

Je vais abuser de votre bonté
en vous priant de me dire si les
derniers jours de ce mois et les
premiers de 7bre je puis vous trouver
sous vos ombrages, et si c’est
toujours la voie de Fontainebleau
qu’il faut prendre, quel train de
Paris correspond avec la favorable
voiture de Puyseaux. Pardonnez
moi de vous donner l’ennui de
ces détails : j’irai bien heureux
vous réiterer l’assurance de tout
mon respect et de mon affection
devouee.

Eug Delacroix

Je passerai quelques jours chez Mad.
la Mse de la Grange que je n’ai pas
vu depuis bien longtemps. voila encore

 

Page 3

 

charmante dont vous les carac-
-terisez. quel bonheur au contraire
de trouver chez vous egales sympathies
et égales antipaties. Hugo, Racine
voila à mon avis les types qui
résument le genie de notre incompa-
-rable epoque et celle que nos bons
ayeux avaient la simplicité de mettre
au dessus de tout. Je m’arrête sur
ces sujets qui me conduisent tout droit
à l’indignation contre mon espèce.
Elle contient heureusement quelques
exemples de dignité et de sujets de [2 mots interlinéaires] veneration.
vous que tout le monde admire et
que j’aime tendrement pardessus le
marché, vous êtes un de ces modèles
qui encouragent et qui consolent.
j’ai besoin de cela : je m’attriste et
je m’ennuie. la vie est ce que vous
savez : les années qui s’accumulent
sont loin de lui donner du prix : la
goutte, de mauvais yeux et le reste
la rendent fort insipide : l’ennui en un

 

Page 4

 

un type qu’on ne trouve pas
chez Mr Hugo.

 

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