Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 16 septembre 1861

  • Cote de la lettre ED-MD-1861-SEPT-16-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 16 Septembre 18[61]
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes -
    , inédite.
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,7x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/148
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Champrosay, ce 16 7bre

Mon cher cousin,

Je vous dois bien des grâces pour la bonté que vous avez eue de me faire reconduire jusqu’à Fontainebleau1. Il ne fallait pas moins : le train a été en retard de ¾ d’heure et je ne suis arrivé que bien juste. J’ai éprouvé un vif désappointement à la séance du jugement2. Je n’allais là que pour l’acquit de ma conscience, en quelque sorte, et voilà que mon jeune homme3 avait fait un tableau qui me parut le meilleur de tous4. Le jugement préparatoire qui avait commencé à 11hres avait eu lieu déjà et loin d’être désigné pour le 1er prix, il ne l’était même pas pour une mention. Mes efforts ont été vains quoique je lui eusse recruté quelques voix. Ces jugements ne sont que des arrangements de famille entre les professeurs pour donner tous les encouragements à leur enfants respectifs et tour à tour. De plus, je suis la bête noire de presque tous ces gens là et vous jugez de mon influence.

Quels bons moments j’ai passé près de vous et de vos aimables hôtes ; mille regrets et hommages je vous prie à Madame de La Grange qui va encore quelques jours embellir votre paradis dont je me suis exilé avec chagrin. Votre santé s’y comporte à ravir. Il faut des soins et même des difficultés à vaincre pour un esprit tel que le vôtre, mais il faut aussi du repos et l’éloignement de la foule et des affaires. Ici, je ne peux les tenir suffisamment à distance : je suis trop près du gouffre.

Je vous embrasse comme je vous respecte et vous admire, mon cher cousin.

Eug. Delacroix

Veuillez aussi me rappeler au souvenir de madame Berryer5 et la remercier pour moi de la peine qu’elle a prise de me déchiffrer tant de musique.


1 Delacroix venait de passer deux semaines du 2 au 14 septembre à Augerville-la-Rivière (Loiret) dans la propriété de son cousin.

2 Le jugement en question concerne l’attribution du premier Grand Prix du Paysage historique. Delacroix n’assista qu’à la dernière délibération, le 14 septembre, à 1 heure de l’après-midi (cf. Philippe Grunchec, Les Concours des prix de Rome, 1797-1863, Paris, Ecole supérieure des Beaux-Arts, 1983, p. 318-319).

3 Il s’agit de Paul-Alfred Colin (1838-1916), fils et élève d’Alexandre Colin, peintre et grand ami de Delacroix. Au lendemain du jugement, Delacroix écrivit à Colin pour lui faire part de ses regrets (Parie, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, Ms 249 (39) ; Joubin, Corr. Gén, t. IV, p. 273-274).

4 Le sujet proposé aux concurrents cette année-là était La Marche de Silène.

5 Noémie de Gailhard, qui avait épousé en 1852 le fils de Berryer, Arthur.

 

 

Transcription originale

Page 1

Champrosay Ce 16 7br

Mon cher cousin,

Je vous dois bien des grâces
pour la bonté que vous avez eue de
me faire reconduire jusqu’a fontai-
-nebleau. Il ne fallait pas moins :
le train a eté en retard de ¾
d’heure et je ne suis arrivé que
bien juste : j’ai eprouvé un vif dés-
-appointement à la seance du jugement.
je n’allais là que pour l’acquit de
ma conscience, en quelque sorte et
voila que mon jeune homme avait
fait un tableau qui me parut le
meilleur de tous. Le jugement pré-
-paratoire qui avait commencé à
11hres avait eu lieu deja et
loin d’etre désigné pour le 1er prix,

 

Page 2

 

il ne l’etait même pas pour une
mention. mes efforts ont eté vains
quoique je lui eusse recruté quelques
voix. ces jugements ne sont que
des arrangements de famille entre
les professeurs pour donner tous les
encouragements à leur enfants res-
-pectifs et tour à tour : de plus, je
suis la bête noire de presque tous
ces gens là et vous jugez de mon
influence.

Quels bons moments j’ai passé,
près de vous et de vos aimables
hôtes ; mille regrets et hommages
je vous prie à Madame de la Grange
qui va encore quelques jours embel-
-lir votre paradis dont je me suis
exilé avec chagrin. Votre santé s’y
comporte à ravir. Il faut des soins
et même des difficultés à vaincre

 

Page 3

 

pour un esprit tel que le vôtre,
mais il faut aussi du repos
et l’eloignement de la foule et des
affaires. ici, je ne peux les tenir suf-
-fisamment à distance : je suis trop
près du gouffre.

Je vous embrasse comme je
vous respecte et vous admire
mon cher cousin.

Eug Delacroix

Veuillez aussi me rappeler au
souvenir de madame Berryer
et la remercier pour moi de la
peine qu’elle a prise de me déchiffrer
[mot barré] tant [mot interlinéaire] de musique.

 

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