Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 23 juillet 1858

  • Cote de la lettre ED-MD-1858-JUIL-23-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 23 Juillet 1858
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 55 (partiellement); Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 40 (idem); Pomarède, A. Sérullaz, Rishel (dir.), 1998, p. 22 (idem).
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,6x26
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/80
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Plombières1 ce 23 juillet 1858

Mon cher cousin,

On m’a transmis vos deux lettres2 et mon projet était bien de ne pas les attendre pour vous parler de ce qui m’arrive dans un voyage qui me prive, hélas, d’un autre bien plus agréable et dont mon imagination jouissait à l’avance . Je ne vous écris que maintenant parce que je n’avais que de mauvaises nouvelles à vous donner. Enrhumé de nouveau presqu’en arrivant ici, j’ai été obligé de suspendre mes bains, de sorte que j’avais la perspective de n’être venu ici que pour me promener3. Je suis à présent dans un état plus satisfaisant et la distraction, sotte distraction si vous voulez, celle de vivre dans la place publique comme on fait aux eaux et de rencontrer toutes sortes de figures, cette distraction et ce mouvement, si différents de ma vie habituelle, me redonnent du ressort et de la force. Il faut secouer la fiole, c’est un proverbe de mon invention, applicable aux vases fêlés et boiteux comme je le suis, moyen qui me réussit toujours et qu’une sotte paresse m’empêche d’employer à Paris. L’air, les promenades, le point d’affaires ni de travail, tout cela aide la machine à se remettre dans l’ordre de nature.

La présence du chef de l’état4, comme on dit, ne dérange rien à la vie qu’on mène ici : lui-seul peut être dérangé quand il ne se tient pas suffisamment sur ses gardes. Ce lieu est plein de gens qui se portent bien, mais qui ont tous un placet dans leur poche à l’adresse de leur infortuné souverain qui se défend comme il peut de leurs attaques. Il m’a rencontré par hasard et m’a fait l’honneur de me demander de mes nouvelles. Depuis j’évite autant que je peux de le rencontrer pour ne pas être confondu avec la nuée des solliciteurs ou de ceux qui veulent faire penser à eux5 .

Vous avez la bonté de me laisser encore la possibilité de vous trouver à Augerville6. Je vais vous ouvrir mon cœur, cher cousin, sur mes petits projets.

Je comptais après le départ du cousin7 de Strasbourg , à la fin de juin, faire un mois de travail à St Sulpice avant d’aller vous joindre. Ce mois, vous voyez comme je l’ai employé, et plut à Dieu qu’il le fut à me donner de la force. Je comptais donc profiter à mon retour de ce que je pourrais en avoir, pour me mettre à cette rude besogne pour laquelle il faut absolument des longs jours et un peu de chaleur de température. Je n’ose donc vous dire ici ce que je pourrai ou ne pourrai pas faire : quant à ce que je désirerais, je pense qu’il est superflu de vous en parler. Quand je serai de retour, je désirerais vivement, dans un intervalle, ou à la fin de votre séjour, aller retremper mon pauvre esprit à la source vive du vôtre et dans votre inappréciable société8.

En attendant, veuillez vous charger de tous mes respects et de mes regrets aussi grands auprès de vos aimables hôtes et leur peindre ma tristesse et mes malheurs.

Recevez, cher cousin, mille assurances de mon sincère attachement.

Eug. Delacroix

Je regrette bien que vous n’ayez pu employer Mr Boulangé. Je n’étais pas sans appréhension de ce qu’il pourrait demander pour ce travail.

Il demeure rue du buisson St Louis 12.


1 Ville d’eaux des Vosges très en vogue à cette époque. Delacroix y avait fait un premier séjour du 10 au 31 août 1857 (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1170 à 1172). Il s’y trouvait depuis le 11 juillet (Ibidem, t. II, p. 1246).

2 Berryer avait écrit à Delacroix le 13 juillet, insistant pour que celui-ci le rejoigne à Augerville après sa cure à Plombières (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/79).

3 Delacroix écrit le même jour à Joséphine de Forget : « obligé d’interrompre mes bains presque aussitôt mon arrivée ici à cause d’un nouveau rhume, je me voyais dans la possibilité d’être venu ici seulement pour m’y promener. » (Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 38-39).

4 L’empereur Napoléon III.

5 Delacroix relate en termes semblables sa rencontre avec l’empereur dans la lettre qu’il écrit à Joséphine de Forget le 23 juillet 1858 (Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 39).

6 Augerville-la-Rivière, près de Malesherbes (Loiret) où Berryer avait une propriété. Delacroix s’y rendit souvent à partir de 1854.

7 Auguste Lamey était venu à Paris le 5 juin et en était reparti le 24 juin.

8 Delacroix ne put aller à Augerville comme il l’espérait, car il eut à s’occuper de l’acquisition de la maison qu’il louait à Champrosay (cf. lettre à Berryer du 6 septembre 1858 ; Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/82).

 

 

Transcription originale

Page 1

Plombieres ce 23 juillet

1858

Mon cher cousin,

On m’a transmis vos deux lettres
et mon projet etait bien de ne pas les
attendre pour vous parler de ce qui m’ar-
-rive dans un voyage qui me prive
helas [2 mots barrés] d’un autre bien plus agreable
et [mot interlinéaire] dont mon imagination jouissait à
l’avance. Je ne vous ecris que mainte-
-nant parceque je n’avais que de mauvaises
nouvelles a vous donner. Enrhumé de
nouveau presqu’en arrivant ici, j’ai eté
obligé de suspendre mes bains, de sorte
que j’avais la perspective de n’etre venu
ici que pour me promener. Je suis à present
dans un etat plus satisfaisant et la
distraction, sotte distraction si vous voulez,
celle de vivre dans la place publique comme
on fait aux eaux et de rencontrer toutes
sortes de figures, cette distraction et ce

 

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mouvement, si différents de ma
vie habituelle, me redonnent du ressort
et de la force. Il faut secouer la
fiole
, c’est un proverbe de mon
invention, applicable aux vases fêlés
et boiteux comme je le suis, moyen [mot interlinéaire] qui me
reussit toujours et qu’une sotte paresse
m’empêche d’employer à Paris : L’air, les
promenades, le point d’affaires ni de travail
tout cela aide la machine à se remettre
dans l’ordre de nature.

La présence du chef de l’etat, comme
on dit, ne dérange rien à la vie qu’on mène ici [4 mots interlinéaires] : lui seul
peut etre dérangé quand il ne se tient
pas suffisamment sur ses gardes. Ce lieu
est plein de gens qui se portent bien, mais
qui ont tous un placet dans leur poche à
l’adresse de leur infortuné souverain qui
se defend comme il peut de leurs attaques.
Il m’a rencontré par hasard et m’a fait
l’honneur de me demander de mes nouvelles :
depuis j’evite autant que je peux de le
rencontrer, pour ne pas etre confondu avec
la nuée des solliciteurs ou de ceux qui veulent

 

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faire penser à eux.

Vous avez la bonté de me laisser
encore la possibilité de vous trouver
à augerville. Je vais vous ouvrir
mon cœur, cher cousin, sur mes petits
projets.

Je comptais après le depart du
cousin de Strasbourg, à la fin de juin,
[mot barré] faire [mot interlinéaire] un mois de travail à St Sulpice
avant d’aller vous joindre. Ce mois
vous voyez comme je l’ai employé, et
plut à Dieu qu’il le fut à me donner
de la force. Je comptais donc profiter
à mon retour de ce que je pourrais en
avoir pour me mettre à cette rude
besogne pour laquelle il faut absolument
des longs jours et un peu de chaleur de
temperature. Je n’ose donc vous dire
ici ce que je pourrai ou ne pourrai pas
faire : quant à ce que je désirerais je
pense qu’il est superflu de vous en parler.
quand je serai de retour, je desirerais vive-
-ment, dans un intervalle, ou à la fin
de votre sejour, aller retremper mon

 

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pauvre esprit à la source vive
du vôtre et dans votre inappreciable
societé.

En attendant veuillez vous
charger de tous mes respects et
de mes regrets aussi grands auprès
de vos aimables hôtes et leur
peindre ma tristesse et mes malheurs.

Recevez cher cousin mille as-
-surances de mon sincere attachement.

Eug Delacroix

 

Je regrette bien que vous n’ayez
pu employer Mr Boulangé. Je n’etais
pas sans apprehension de ce qu’il pourrait
demander pour ce travail.

Il demeure rue du buisson St Louis

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