Lettre à Pierre-Antone Berryer, 19 mars 1858

  • Cote de la lettre ED-MD-1858-MAR-19-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 19 Mars 1858
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes -
    , inédite.
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 21,5x26,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/73
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Ce 19 mars 1858

Mon cher cousin,

Je crois que mon indisposition n’aura pas des suites aussi contrariantes que je le craignais pour votre décoration d’Augerville1. Je me suis informé aussitôt votre lettre reçue de l’état des peintures et m’en suis fait apporter une qui est terminée2. Cette peinture est médiocre quoiqu’avec l’effet convenable ; elle était criblée de petites parties enlevées qui étaient plutôt du ressort d’un restaurateur de tableaux que d’un peintre. M. Haro a comblé les lacunes de manière à ce que quelques touches dans trois ou quatre endroits où elles sont plus nécessaires complèteront la restauration. Je serai bien malheureux si mon indisposition ne me permet pas de les donner. Quant au portrait, je l’aurai aujourd’hui ou demain probablement. Je crois qu’il avait beaucoup moins souffert que l’autre tableau. On a du également en avancer la retouche autant que possible et il en sera de même, j’espère, pour ce que j’aurai à y faire.

Je n’ai pas perdu de temps non plus pour savoir si mon décorateur, Mr Boulangé, était disponible3. Je lui ai écrit aussitôt, que vous seriez à Augerville les premiers jours de la semaine prochaine si je ne me trompe4. Je reçois sa lettre ce matin dans ce moment et viens vous prier de me donner avant votre départ de demain l’itinéraire le plus convenable pour lui et pour vos convenances. Vous auriez la bonté de m’expliquer pour que je le lui transmette, quel train il doit prendre, par quel chemin de fer et quelle voiture ensuite pour le conduire à Malesherbes. Vous me diriez aussi jusqu’à quel jour précisément vous comptez demeurer à Augerville et aussitôt que je saurai celui où M. Boulangé peut faire le voyage, je vous l’écrirai pour le cas où vous penseriez devoir le faire prendre à Malesherbes5.

Je serais ravi que tout cela puisse concorder suivant vos désirs. Vous êtes bien bon de vous intéresser comme vous faites à ma petite santé qui me joue tant de tours et qui m’a arrêté au milieu du plus bel entrain. Ce que j’éprouve n’est pas, heureusement, l’indisposition de larynx ou de poitrine : c’est un désordre de l’estomac qui m’ôte entièrement mes forces mais je pense que des bains me remettront6.

Adieu donc, mon cher cousin, j’envoie mes souvenirs aux naïades d’Augerville7. O rus quando te aspiciam8! Que faisons-nous à Paris, je vous le demande : nous nous tuons sur des affaires ou sur des tableaux au lieu de jouir du repos dans de beaux lieux. Enfin, c’est ainsi.

Je vous embrasse.

Eug. Delacroix

Tournez le feuillet s’il v.p.

En réfléchissant aux décorations de la chambre que j’occupe ordinairement à Augerville, je me suis rappelé qu’il y a des petites figures d’amour très gâtées et pas bien distinguées que vous pourriez faire remplacer par un ciel pur et simple qui est déjà le fond sur lequel ces figures se détachent. Elles occupent les ovales qui sont dans les caissons. Quant aux ornements, je crois que vous devez demander de simples retouches là où elles sont indispensables, ce qui ne serait pas pour cela un très médiocre travail attendu que ces messieurs aiment mieux en faire à la toise et sans se gêner.

 


1 Augerville-la-Rivière, près de Malesherbes (Loiret) où Berryer avait une propriété. Delacroix s’y rendit à maintes reprises à partir de 1854.

2 Berryer avait écrit à Delacroix le 16 mars, s’inquiétant de le savoir repris par ses douleurs et ses faiblesses et le remerciant de veiller néanmoins à l’avancement de la restauration de deux toiles qu’il avait confiées à son rentoileur (lettre à Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31 631/72 ; voir aussi les lettres précédemment échangées entre Delacroix et Berryer à ce sujet LA 31 631/67 à LA 31 631/71).

3 Louis-Jean-Baptiste Boulangé (Varzy (Marne), 1812 - idem, 1878), peintre, élève et collaborateur de Delacroix à la chapelle des Saints-Anges en l’église de Saint-Sulpice.

4 Delacroix avait écrit à Louis Boulangé le 18 mars 1858 en lui demandant de lui répondre « tout de suite » (Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 20-21).

5 Berryer répondit à Delacroix par retour de courrier, l’informant que son petit-fils était souffrant et que tous ses projets étaient changés (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31 631/74). Le 21, Delacroix en avertit Boulangé (Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 22).

6 Delacroix est souffrant depuis la première semaine de mars (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1228).

7 Allusion aux amies de Berryer qui venaient souvent à Augerville : Madame de La Grange (Hélène-Angélique-Rosine-Adeline, née Outrey (1800 ou 1801-1878)) et Madame de Vaufreland (Athénaïs-Marie-Françoise, née Sanegon (1806-1883)).

8 Ô campagne, quand te reverrai-je ?

 

Transcription originale

Page 1

Ce 19 mars 1858.

Mon cher cousin,

Je crois que mon indisposition
n’aura pas des suites aussi contrariantes
que je le craignais pour votre decoration
d’Augerville. Je me suis informé
aussitot votre lettre reçue de l’etat des
peintures et m’en suis fait apporter une
qui est terminée. Cette peinture est
mediocre quoiqu’avec l’effet convenable ; elle
etait criblée de petites parties enlevées
qui etaient plutot du ressort d’un restau-
-rateur de tableaux que d’un peintre.
M. Haro a comble les lacunes de
maniere à ce que quelques touches dans
trois ou quatre endroits où elles sont
plus nécessaires completteront la restauration
je serai bien malheureux si mon indisposition
ne me permet pas de les donner. quant au
portrait je l’aurai aujourdhui ou demain
probablement : je crois qu’il avait beaucoup

 

Page 2

moins souffert que l’autre tableau :
on a du egalement en avancer la
retouche autant que possible et il en
sera de même j’espere pour ce que j’aurai
à y faire.

Je n’ai pas perdu de temps non plus
pour savoir si mon décorateur Mr
Boulangé etait disponible. Je lui
ai ecrit aussitot, que vous seriez à
Augerville les premiers jours de la semaine
prochaine
si je ne me trompe. Je
reçois sa lettre ce matin dans ce moment
et viens vous prier de me donner
avant votre depart de demain, l’itineraire
le plus convenable pour lui et pour
vos convenances : vous auriez la bonté
de m’expliquer pour que je le lui trans-
-mette, à quelle quel train il doit
prendre, par quel chemin de fer et
quelle voiture ensuite pour le conduire
à Malesherbes : vous me diriez aussi
jusqu’à quel jour précisement vous
comptez demeurer à Augerville et

 

Page 3

aussitot que je saurais Celui où
M. Boulangé peut faire le voyage
je vous l’ecrirais pour le cas où
vous penseriez devoir le faire prendre
à Malesherbes.

Je serais ravi que tout cela puisse
concorder suivant vos desirs. vous
etes bien bon de vous interesser comme
vous faites à ma petite santé qui me
joue tant de tours et qui m’a arreté
au milieu du plus bel entrain. Ce
que j’eprouve n’est pas heureusement, l’in-
-disposition de larynx ou de poitrine :
c’est un desordre de l’estomac qui
m’ote entierement mes forces : mais
je pense que des bains me remettront.

Adieu donc mon cher cousin
j’envoie mes souvenirs aux naïades
d’augerville. O rus quando te
aspiciam! que faisons nous à Paris
je vous le demande : nous nous tuons
sur des affaires ou sur des tableaux au lieu
de jouir du repos dans de beaux lieux.
Enfin c’est ainsi.

je vous embrasse

Eug Delacroix

Tournez le feuillet s’il v.p.

 

Page 4

En reflechissant aux decorations de la
chambre que j’occupe ord.t à augerville,
je me suis rappelé qu’il y a des petites
figures d’amour tres gâtées et pas bien
distinguées que vous pourriez faire remplacer
par un ciel pur et simple qui est deja
le fond sur lequel ces figures se detachent.
Ce sont elles occupent les ovales
qui sont dans les caissons. quant aux
ornements, je crois que vous devez
demander de simples retouches là où
elles sont indispensables : ce qui ne serait
pas pour cela un très mediocre travail
attendu que ces Messieurs aiment mieux
en faire à la toise et sans se gêner.

 

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