Lettre à Guillaume-Auguste Lamey, 26 juillet 1856

  • Cote de la lettre ED-IN-1856-JUIL-26-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 26 Juillet 1856
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 333-335.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x27
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 22
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Transcription modernisée

Paris 26 juillet 56
M. Delacroix1

Paris, ce 26 juillet 1856

 

Mon cher cousin,

 

J’ai reçu avec bien du plaisir la nouvelle de votre arrivée à Strasbourg en aussi bon état que possible. J’avais bien prévu, sans vous en parler, l’émotion que vous éprouveriez à votre retour2. Vous me parlez des ressources que je trouve contre l’ennui et les chagrins dans le travail de chaque jour : il est vrai que c’est un grand remède à toutes sortes de maux. Si vous ne pouvez pas vous livrer avec la même suite aux occupations que vous avez toujours préférées, vous n’en avez pas moins la fraîcheur de l’imagination et surtout une force morale capable de commander à l’abattement. Ne négligez pas les soins du physique, de cette guenille à qui il faut accorder beaucoup. Je vous demande de faire de l’exercice toutes les fois que vous le pourrez. Allez à votre casino : c’est à la fois un but et une distraction, et quelquefois au spectacle, en vous faisant attendre et ramener par l’une de vos bonnes.

Quoique vivant dans ce gouffre civilisé si opposé à la tranquillité des provinces, je suis presque aussi seul que vous : mais malgré l’habitude d’être vis-à-vis de moi-même, j’ai senti vivement la privation de votre société. Je vous cherche encore pour me mettre à table et, au milieu de mon travail, je me surprends à attendre votre visite. J’ai bien du regret de ne pouvoir vous revoir cette année sans manquer à toutes mes petites affaires : je m’en dédommagerai amplement l’année prochaine.

Je ne vous ai pas répondu tout à fait, parce que j’ai voulu revoir M. Buloz, de la revue, auparavant3. Il a recommandé, à ce qu’il m’a assuré, l’ouvrage à M. Saint-René Taillandier ; mais par un malheur que je ne connaissais pas, ce dernier est professeur à Montpellier où il demeure, ce qui entraînera peut-être des retards, ou au moins pour moi l’impossibilité de le voir comme je l’eusse désiré4. Il faut donc se résigner à attendre l’heure de ces messieurs, mais je ne doute pas qu’ils ne s’exécutent enfin et à notre satisfaction.

Adieu, cher cousin, je vous réitère l’assurance de tout le plaisir que vous m’avez fait en partageant ma solitude ; j’espère à l’avenir que vous trouverez les localités mieux disposées encore pour notre réunion. En attendant, recevez les assurances de mon profond attachement.

 

Eugène Delacroix

Jenny vous prie de vouloir bien agréer ses très humbles respects. Je vous parlerai de mes travaux et de la fameuse chapelle5 quand je serai in medias res. J’ai écrit à Guillemardet pour lui parler de votre bon souvenir, auquel il sera bien sensible.


1 Inscription postérieure.
2
Guillaume-Auguste Lamey a séjourné à Paris du 8 au 22 juillet 1856. Dans son Journal,  Delacroix note le 8 juillet : " Le bon cousin arrive le soir à onze heures et demie. Je l’installe et le trouve heureux de notre combinaison" (Journal, éd. Hannoosh, t.I, p. 1030). Delacroix l’a invité à loger chez lui. Durant ces quelques jours, ils dînent à trois reprises avec Louis Guillemardet (les 10, 18 et 21 juillet). Le 12 juillet, Delacroix et son cousin vont au Théâtre Français voir les Femmes savantes et Amphitryon (Journal, éd. Hannoosh, t.I, p. 1031). Il est aussi touché par le départ de son cousin. Le 22 juillet, il écrit : "Départ du bon cousin : je l’accompagne par un beau soleil du matin, mourant d’envie de m’embarquer avec lui. Il est triste de me quitter" (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1031). Le 24 juillet, Delacroix note : "Je ne sors pas depuis le départ du cousin, je défends ma porte et m’enterre dans ma solitude" (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1031).
3
En 1856, Guillaume-Auguste Lamey a publié une édition revue et augmentée de Gedichte, un recueil de poésies. Durant le séjour de son cousin, Delacroix a rencontré, le 11 juillet, François Buloz directeur de la Revue des Deux Mondes. A ce moment-là, la Revue publiait des articles sur les hommes politiques et les écrivains de l’Allemagne et le recueil de poésies était écrit en allemand (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1031). Delacroix cherche l’épauler de ses relations pour faire connaître son ouvrage.
4 Saint-René Taillandier (1817-1879), homme de lettres. Elève au collège Charlemagne (Paris), il est ensuite licencié en droit et en lettres. En 1840, il fréquente l’université d’Heidelberg (Allemagne). En 1841 il est suppléant à la chaire de littérature française de l’université de Strasbourg. En 1843 il est nommé à Montpellier et devient professeur titulaire en 1846. Durant son séjour dans le Midi, il collabore activement à la Revue des Deux Mondes après un premier article écrit en 1843. Il signe des travaux historiques et littéraires sur l’Allemagne et ses écrivains ou sur la France. En 1863 il est professeur de poésie française à la Sorbonne puis professeur d’éloquence française en 1868. Il est nommé secrétaire général de l’Instruction publique en 1870 et devient membre de l’Académie française en 1873. Il a notamment écrit Histoire de la jeune Allemagne, études littéraires en 1849, Etudes sur la révolution en Allemagne en 1853, La Vie et les oeuvres de Michel Lermontoff en 1856 (poète et romancier russe), Littérature étrangère, écrivains et poètes modernes en 1861.
5
En 1849, Delacroix s’était vu confier le décor de la Chapelle des Saints-Anges à l’Eglise Saint-Sulpice. Le 19 juillet 1855, un an avant cette lettre à son cousin, Delacroix écrit à George Sand à propos de la "fameuse chapelle" : " un travail  [...] qui traîne depuis cinq ans" (Lettre du 17 juillet 1855). L’expression in media res souligne le retard des travaux. Le décor sera achevé en 1861.

Transcription originale

Page 1

Paris 26 juillet 56
Delacroix

Paris ce 26 juillet
1856.

Mon cher cousin,

 

J’ai reçu avec bien du plaisir
la nouvelle de votre arrivée à
Strasbourg en aussi bon etat que pos-
-sible. J’avais bien prévu sans vous en
parler l’emotion que vous eprouveriez
à votre retour. Vous me parlez des
ressources que je trouve contre l’ennui
et les chagrins dans le travail de chaque
jour : il est vrai que c’est un grand
remede à toutes sortes [mot barré illisible] maux. Si vous
ne pouvez pas vous livrer avec la même
suite aux occupations que vous avez
toujours preferées, vous n’en avez pas moins
la fraicheur de l’imagination et surtout
une force morale capable de commander
à l’abattement. Ne négligez pas les soins
du physique, de cette guenille à qui il

 

Page 2

faut accorder beaucoup. Je vous
demande de faire de l’exercice toutes
les fois que vous le pourrez. allez à votre
casino : c’est à la fois un but et une
distraction et quelquefois au spectacle
en vous fesant attendre et ramener
par l’une de vos bonnes.

Quoique vivant dans ce gouffre
civilisé si opposé à la tranquillité des
provinces, je suis [mot interlinéaire] [mot barré illisible] presqu’aussi seul
que vous : mais malgré l’habitude
[mot barré illisible] d’etre vis à vis de moi même, j’ai
senti vivement la privation de votre
societé. Je vous cherche encore pour
me mettre à table et au milieu de
mon travail, je me surprends à attendre
votre visite. J’ai bien du regret de ne
pouvoir vous revoir cette année sans
manquer à toutes mes petites affaires : je
m’en dedommagerai amplement [mot barré illisible]
l’année prochaine.

Je ne vous ai pas répondu tout a fait

 

Page 3

parceque j’ai voulu revoir M.
Buloz de la revue, auparavant.
Il a recommandé à ce qu’il m’a
assuré l’ouvrage à M. St René
Taillandier ; mais par un malheur
que je ne connaissais pas, ce dernier
est professeur à Montpellier où il de-
-meure, ce qui entrainera peut etre
des retards ou au moins pour moi
l’impossibilité de le voir comme je
l’eusse desiré. Il faut donc se résigner
à attendre l’heure de ces messieurs
mais je ne doute pas qu’ils ne s’executent
enfin et à notre satisfaction.

Adieu cher cousin, je vous reitere
l’assurance de tout le plaisir que vous
m’avez fait en partageant ma solitude :
j’espere à l’avenir que vous trouverez les
localités mieux disposées encore pour
notre réunion. En attendant recevez
les assurances de mon profond attachement.

EugDelacroix

Jenny vous prie de vouloir bien agreer

 

Page 4

ses très humbles respects. Je vous
parlerai de mes travaux et de la
fameuse chapelle quand je serai
in medias res. J’ai ecrit à Guille-
-mardet pour lui parler de votre bon
souvenir auquel il sera bien sensible.

 

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