Lettre à Alexandrine Lamey, 30 novembre 1855

  • Cote de la lettre ED-IN-1855-NOV-30-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Alexandrine LAMEY
  • Date 30 Novembre 18[55]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 304-305.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x27
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 13
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Transcription modernisée

Ce 30 novembre [1855]

 

Chère bonne cousine, je vous envoie mille remerciements pour vos deux chers cordons que je me mets à porter. Je les ai reçus par votre Sophie, qui est arrivée avec son mari et qui me les a remis de votre part1. J’ai été bien affligé de tous les accidents qui vous sont arrivés ainsi qu’à mon cher cousin. J’espère que les soins vous auront remis l’un et l’autre : il a dû éprouver une forte commotion du coup qu’il a reçu et je pense bien que vous aurez pris les précautions convenables pour prévenir toute suite fâcheuse.

Je vous écris sortant moi-même d’un rhume que je tremble de reprendre. Il y a près de deux mois que je l’ai pris : je l’avais guéri une première fois, mais toutes ces cérémonies2 dans lesquelles je me suis trouvé pris me l’ont rendu et je viens depuis une dizaine de jours de me tenir entièrement renfermé pour éviter le froid. Maintenant que la toux a cessé grâce à ce régime, je crains que l’air extérieur ne me saisisse quand je vais me remettre à sortir. Enfin, il faut toujours souffrir de quelque chose !

Mon régime ne m’a pas empêché de goûter l’excellente choucroute, qui est vraiment délicieuse3. Il serait impossible de trouver à Paris la pareille et cela fait une diversion dans ma cuisine de garçon, laquelle est très bornée. Vous me parlez d’un pâté et j’y résiste : je ne veux pas absolument vous mettre en frais de la sorte et le petit tonneau de choucroute est un régal choisi et pour longtemps. Je ne suis pas d’ailleurs dans un état assez satisfaisant pour me permettre coup sur coup des extraordinaires. Je vous remercie toujours mille fois pour votre bonne intention.

Faites mille compliments, si vous en avez l’occasion, au bon M. Hervé, qui a eu l’aimable attention de vous parler de ma promotion et exprimez-lui de ma part les meilleurs souvenirs4. J’ai l’obligation de cette distinction non pas au gouvernement, qui n’a fait que la confirmer, mais au jury réuni, qui m’a désigné pour l’avoir5.

Adieu, chère et bonne amie, tenez-moi au courant de vos santés et de ce qui vous arrive : suppléons ainsi à l’éloignement : écrivons-nous puisque nous ne pouvons nous voir et nous parler.

Je vous embrasse bien tendrement.

Eugène Delacroix

 

Mes amitiés sincères, je vous prie, à mon cousin. Dites-lui bien qu’il n’imite pas le régime que je viens de suivre, je veux dire la réclusion. Qu’il sorte et se promène autant que la saison le permettra.

Delacroix
30 novembre 18556

 


1 Personnes non identifiées.
2 En qualité de membre du jury de l’Exposition universelle, Delacroix a participé à la distribution des récompenses et à diverses réceptions. Le 15 novembre la cérémonie est organisée en grande pompe dans la nef du Palais de l’Industrie. On y aménagea un amphithéâtre avec des gradins de quarante mille places et Berlioz dirigea un concert dont la première de sa cantate L’Impériale. Le Prince Napoléon fit un discours depuis son trône placé sur une estrade décorée d’aigles impériaux (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 971).
3 Alexandrine Lamey lui a expédié un baril de choucroute. Voir la lettre du 30 octobre 1855.
4 Armand-Constant Hervé (1789-1864), militaire, est envoyé à Strasbourg en 1815 et y termine sa carrière au grade de colonel d’artillerie. En 1846, il est membre de la Société des Amis des arts de Strasbourg. Lors de son séjour chez ses cousins, Delacroix assiste à une réunion du bureau de cette Société, le 19 septembre 1855, et note : " séance peu récréative qui heureusement ne dure pas longtemps" (Journal, éd. Hannoosh, t.I, p. 946). Pourtant les membres de cette société, dont Guillaume-Auguste Lamey et son neveu Auguste-Ferdinand, Armand-Constant Hervé, Charles-Auguste Schuler et d’autres, ont joué un rôle lors des séjours  de l’artiste dans la ville : grâce à eux, il obtient l’accès aux collections privées strasbourgeoises. Delacroix a connu Hervé dans son enfance car invité le 20 septembre 1855 à dîner chez lui avec sa cousine, il écrit : " La joie de ce bon et cher homme à me revoir. Il y a de cela quarante-cinq ou -huit ans" (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 946 et t. II, p. 2228). A propos de Charles-Auguste Schuler voir la lettre du 29 décembre 1855.
5 Delacroix reçut à l’occasion de la cérémonie des récompenses de l’Exposition universelle une des seize médailles d’honneur et fut élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 972).
6
Inscription postérieure.

Transcription originale

Page 1

Ce 30 nov.

 

Chère bonne cousine, je vous
envoie mille remerciements pour
vos deux chers cordons que je me
mets a porter. Je les ai reçus par votre
Sophie qui est arrivée avec son mari
et qui me les a remis de votre part. J’ai
eté bien affligé de tous les accidents qui
vous sont arrivés ainsi qu’à mon cher
cousin. J’espère que les soins vous
auront remis l’un et l’autre : il a du
eprouver une forte commotion du
coup qu’il a reçu et je pense bien que
vous aurez pris les précautions convenables
pour prevenir toute suite fâcheuse.

Je vous ecris sortant moi-même
d’un rhume que je tremble de reprendre.
Il y a près de deux mois que je l’ai pris :
je l’avais guéri une première fois
mais toutes ces cerémonies dans lesquelles

 

Page 2

 

je me suis trouvé pris me l’ont
rendu et je viens depuis une dizaine
de jours de me tenir entièrement
renfermé pour éviter le froid. Mainte-
-nant que la toux a cessé grâce à
ce régime, je crains que l’air exte-
-rieur ne me saisisse quand je vais
me remettre à sortir : Enfin il faut
toujours souffrir de quelque chose.
Mon régime ne m’a pas empeché
de gouter l’excellente choucroute qui
est vraiment delicieuse. Il serait im-
-possible de trouver à Paris la pareille
et cela fait une diversion dans ma
cuisine de garçon, laquelle est très
bornée. Vous me parlez d’un pâté et
j’y resiste : je ne veux pas absolument
vous mettre en frais de la sorte et le
petit tonneau de choucroute est un
régal choisi et pour longtemps. Je ne
suis pas d’ailleurs dans un etat assez

 

Page 3

 

satisfaisant pour me permettre
coup sur coup des extraordinaires.
Je vous remercie toujours mille fois
pour votre bonne intention.

Faites mille compliments si vous
en avez l’occasion au bon M. Hervé
qui a eu l’aimable attention de vous
parler de ma promotion et exprimez
lui de ma part les meilleurs souvenirs.
J’ai l’obligation de cette distinction,
non pas au gouvernement qui n’a
fait que la confirmer, mais au
Jury réuni qui m’a designé pour
l’avoir.

Adieu chère et bonne amie, tenez
moi au courant de vos santés et de
ce qui vous arrive : suppléons ainsi à
l’eloignement : ecrivons nous puisque
nous ne pouvons nous voir et nous
parler. Je vous embrasse bien
tendrement.

EugDelacroix

mes amitiés sincères je vous prie

 

Page 4

 

à mon cousin. Dites lui bien
qu’il n’imite pas le regime que je
viens de suivre, je veux dire la réclusion.
qu’il sorte et se promène autant que
la saison le permettra.

 

Delacroix
30 Nov. 1855

 

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