Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 19 juin 1857

  • Cote de la lettre ED-MD-1857-JUIN-19-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 19 Juin 18[57]
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes -
    , inédite.
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,6x27,1
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/57
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

 

Champrosay par Draveil Seine et Oise
Ce 19 juin

Mon cher cousin,

Je réponds bien tard à la lettre si bonne et si pleine d’intérêt que vous m’avez adressée en dernier lieu1. J’ai retardé pour vous annoncer de meilleures nouvelles de mon état, car au moment où je la recevais, j’étais sous le coup d’une indisposition ajoutée à l’autre, résultant de la fatigue que m’ont fait éprouver deux petits voyages faits à Paris coup sur coup à l’occasion des ennuis que me donne mon nouvel établissement dans le fg St Germain2. Je me suis trouvé dans un accablement fébrile que je ne savais comment définir et dont je commence à triompher grâce à des bains multipliés. S’il n’avait cédé, je serais retourné à Paris me remettre de nouveau entre les mains des médecins3 : heureusement que je les crains comme la peste et cette fois j’espère mon instinct m’aura servi.

Vous savez de reste la réponse que je fais à tout ce que vous avez la bonté de me dire de l’emploi de votre temps à Augerville4 et aussi à celle que vous avez eue d’y penser un peu à une absence qui m’a tant coûté. Je réponds aux idées qui vous sont venues sur l’emploi de mes moments en vue de ma santé. L’état de mon estomac ne me permet pas de boire les eaux : il n’y a donc que le séjour dans un pays agréable qui me reste à tenter. J’étais déjà résolu à aller en Allemagne où je trouverais moins de connaissances et où j’aurais pour gardien un vieux parent du côté de ma mère que j’aime beaucoup et que je prendrais en passant à Strasbourg5 . Voilà ce que je ferai si je peux. J’ai aussi projeté d’aller cet hiver en Italie ou tout simplement à Cannes dont on m’a dit grand bien6 .

J’ai vu avec bonheur à l’occasion de votre triomphe récent qu’il y avait encore des juges à Berlin7 : encore a-t-il fallu que le bon droit eût le génie de son côté. Je vous en adresse mes compliments du fond du cœur ainsi que l’assurance de mon sincère attachement.

Eug. Delacroix


1Berryer avait écrit à Delacroix le 10 juin 1857, inquiet de le savoir « souffrant et du larynx et d’un peu trop de mélancolie » (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31 631/56).

2 Il s’agit de l’appartement du 6, rue de Furstenberg, que Delacroix avait trouvé grâce à Etienne-François Haro. Les travaux de rénovation que Delacroix avait du effectuer dans ce nouveau logement, ainsi que la construction d’un atelier dans le jardin causèrent au peintre des inquiétudes croissantes guère apaisées par les voyages qu’il fit à Paris le 17 mai et le 2 juin (cf. Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1153, 1155).

3 revint en fait à Paris le 24 juin consulter le médecin Rayer (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1157).

4 Augerville-la-Rivière, près de Malesherbes (Loiret) où Berryer avait une propriété. Delacroix y séjourna à diverses reprises à partir de 1854.

5 Guillaume-Auguste Lamey (1771-1861) avait épousé une cousine germaine de Delacroix, Alexandrine-Marie-Henriette, née Pascot (1786 ou 1787-1856).

6 Delacroix fait allusion à un éventuel séjour à Cannes dans son Journal, le 18 juin 1857 (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1157). Il partit finalement pour Strasbourg le 28 juillet (Ibidem, t. I, p. 1162).

7 Expression courante (que les Allemands ne citent qu’en français !) qui signifie que le pouvoir judiciaire est encore capable de limiter les excès du pouvoir de l’Etat. Nous ne savons pas de quel succès au barreau il s’agit.

 

Transcription originale

Page 1

 

Champrosay par Draveil
Seine et Oise.
Ce 19 juin

Mon cher cousin,

Je reponds bien tard à
la lettre si bonne et si pleine d’interet que
vous m’avez adressée en dernier lieu. J’ai
retardé pour vous annoncer de meilleures
nouvelles de mon etat, car au moment
où je la recevais j’etais sous le coup d’une
indisposition ajoutée à l’autre, resultant
de la fatigue que m’ont fait eprouver deux
petits voyages faits à Paris coup sur coup, à
l’occasion des ennuis que me donne mon
nouvel etablissement dans le fg St Germain.
Je me suis trouvé dans un accablement
fébrile que je ne savais comment definir
et dont je commence à triompher grace à
des bains multipliés : s’il n’avait cédé je
serais retourné à Paris me remettre de
nouveau entre les mains des médecins : heu-

 

Page 2

 

-reusement que je les crains Comme
la peste, et cette fois j’espère mon
instinct m’aura servi.

Vous savez de reste la reponse que je
fais à tout ce que vous avez la bonté de
me dire de l’emploi de votre temps à
Augerville et aussi de a [mot interlinéaire] celle que vous avez
eue d’y penser un peu à une absence qui
m’a tant couté : je reponds aux idées
qui vous sont venues sur l’emploi de mes
momens [mot barré] en vue de ma santé. L’état
de mon estomac ne me permet pas de
boire les eaux : il n’y a donc que le sejour dans
un pays agreable qui me reste à tenter. j’etais
deja résolu à aller en Allemagne, où je
trouverais moins de connaissances et où j’aurai
pour gardien un vieux parent du coté de ma
mère que j’aime beaucoup et que je prendrais
en passant à Strasbourg. voila ce que je ferais si
je peux. [mots barrés] j’ai aussi projetté
d’aller cet hiver en Italie ou tout simplement
à Cannes dont on m’a dit grand bien.

J’ai vu avec bonheur à l’occasion de
votre triomphe récent qu’il y avait encore
des juges à Berlin : encore a t’il fallu que

 

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le bon droit eut le génie de son coté.
Je vous en adresse mes compliments du
fond du cœur ainsi que l’assurance de mon
sincere attachement.

Eug Delacroix

 

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