Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 02 mars 1855

  • Cote de la lettre ED-MD-1855-MAR-02-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 02 Mars 18[55]
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Pomarede, A. Serullaz , Rishel (dir.), 1998, p. 20.
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 21x26,9
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/18
  • Données matérielles pliée en 3
  • Œuvre concernée Roi Jean à la bataille de Poitiers (Le)
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Transcription modernisée

Ce 2 mars

Mon cher cousin,

Je m’adresse à vous qui êtes la bonté même pour un renseignement que je pourrai peut-être avoir par vous ou par vos amis.

J’ai fait avant 1830 et sur la demande de Madame la duchesse de Berry, un tableau de chevalet, représentant le roi Jean sur le champ de bataille de Poitiers, ayant près de lui son fils Philippe le Hardi tout jeune encore et qui le défend contre les assaillants qui fondent sur lui. Ce tableau fut vendu après 1830 avec le reste des tableaux et du mobilier particulier de la famille royale et fut acquis par Mr. le marquis ou comte d’Osembray qui était, je crois, officier supérieur dans les gardes du corps1.

Je désirerais exposer s’il est possible ce tableau qui n’a jamais été vu à l’exposition rétrospective qu’on nous permet aux Champs-Elysées2 : Pouvez-vous me dire ou me savoir l’adresse du marquis, ou si on pourrait le découvrir par quelques uns de vos amis ? ou même une petite recommandation au dit marquis.

Subordonnez cela à vos affaires, mon cher cousin, car si cela vous donne la moindre peine, je me retournerai d’autre part pour avoir d’autres tableaux. Vous me direz un mot de cela mardi puisque j’ai le bonheur de vous rencontrer ce jour-là. En attendant je vous envoie mes amitiés bien sincères.

Eug. Delacroix

Je n’ai pu m’empêcher de mettre le nez malgré ma fatigue dans votre discours3, mais je me suis interrompu afin de le lire de suite et sans être épuisé de corps et d’esprit. Ce que j’en ai vu me charme. Vous parlez à ces Messieurs de leur demander des leçons. C’est à vous de leur en donner. Leur littérature est au contraire une littérature morte, vous joignez le style à l’action col senno et colla mano. Je vous en rendrai bon compte mardi.


1 Le tableau est conservé au musée du Louvre depuis 1931. Il avait été commandé au peintre par la duchesse de Berry en 1829. Celle-ci ayant quitté la France au moment de la Révolution de juillet 1830 sans avoir payé le tableau, Delacroix l’aurait récupéré et aurait négocié sa vente en novembre 1831 (cf. lettre à M. Paillet, commissaire-expert des musées royaux, datée ce vendredi 11 novembre, Joubin, Corr. gén, t. I, p. 295-296). En 1855, le propriétaire du tableau était bien le vicomte d’Osembray : Delacroix a noté son adresse dans son Journal le 1er janvier 1855 (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 870).

2 Delacroix était absorbé par la préparation de l’Exposition universelle qui devait ouvrir au palais de l’Industrie, avenue Montaigne, le 15 mai 1855. Il s’efforçait de réunir le plus de peintures possible, afin de confronter ses œuvres récentes aux œuvres anciennes qu’il jugeait essentielles. Certaines d’entre elles se trouvaient chez des collectionneurs privés qui acceptèrent de se dessaisir momentanément des œuvres en leur possession. Delacroix a noté leurs noms et adresses dans son Journal, en janvier 1855 (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 869, 870 et 875) et se mit en rapport avec eux dans le courant du mois d’avril (cf. Joubin, Corr. Gén, t. III, p. 253-254 ; Bruxelles, Bibliothèque royale).
De J.-P. Bonnet, Delacroix obtint le prêt du Christ en croix qui avait été exposé au Salon de 1847 (maintenant à Baltimore, Walters Art Gallery), du comte Théodore de Geloës, celui du Christ au tombeau qui avait été exposé au Salon de 1848 (Boston, Museum of Fine Arts). J.-D. Osiris lui prêta La Madeleine dans le désert (Salon de 1845 ; Paris, musée Eugène Delacroix), Frédéric Villot, L’Evèque de Liège (Salon de 1831 ; Paris, musée du Louvre), Frédéric Davin, le Combat du Giaour et du Pacha peint en 1835 (Paris, musée du Petit Palais), Alexandre Dumas fils, Le Tasse en prison (Salon de 1824 ; Zürich, collection Bührle), Benjamin Delessert, Les Adieux de Roméo et Juliette (Salon de 1846 ; Etats-Unis, coll. part.), Mme G. Delessert, Roméo et Juliette (Paris, musée Eugène Delacroix), Mala ( ?), Les Convulsionnaires de Tanger (Salon de 1838 ; Minneapolis, Institute of Arts). Maurice Cottier, quant à lui, prêta deux peintures, Mort de Valentin (Salon de 1848 ; Brême, Kunsthalle) et Hamlet (Salon de 1839 ; Paris, musée du Louvre). Adolphe Moreau (père) fut tout aussi généreux et prêta Le Prisonnier de Chillon et Le Naufrage de Don Juan (Salons de 1835 et de 1841 ; tous deux au musée du Louvre).

3 Le discours de réception de Berryer à l’Académie française, le 22 février 1855.

 

Transcription originale

Page 1

Ce 2 mars..

Mon cher cousin,

Je m’adresse à vous qui etes
la bonté même pour un renseigne-
-ment que je pourrai peut etre avoir
par vous ou par vos amis.

J’ai fait avant 1830 et sur
la demande de Madame la duchesse
de Berry, un tableau de chevalet, re-
-presentant le roi Jean sur le champ
de bataille de Poitiers, ayant près de
lui son fils Philippe le hardi tout
jeune encore et qui le defend contre
les assaillants qui fondent sur lui.
Ce tableau fut vendu après 1830 avec
le reste des tableaux et du mobilier par-
-ticulier de la famille royale et fut
acquis par Mr. le marquis ou comte

 

Page 2

 

d’Osembray qui etait je crois
officier superieur dans les gardes du
corps.

Je desirerais exposer s’il est
possible ce tableau qui n’a jamais
eté vu à l’exposition retrospective
qu’on nous permet aux champs
elysées : [mot barré] Pouvez vous me
dire ou me savoir l’adresse du
marquis , [mot barré] ou [mot interlinéaire] si on pourrait le
decouvrir par quelques uns de vos
amis ? ou même une petite recommandation au dit marquis.[8 derniers mots interlinéaires]

Subordonnez cela à vos affaires
mon cher cousin, car si cela vous
donne la moindre peine, je me
retournerai d’autre part pour avoir
d’autres tableaux. vous me direz un
mot de cela mardi puisque j’ai le
bonheur de vous rencontrer ce jour

 

Page 3

 

la. En attendant je vous envoie
mes amitiés bien sinceres

Eug Delacroix.

Je n’ai pu m’empecher de
mettre le nez malgré ma fatigue dans
votre discour : mais je me suis
interrompu afin de le lire de
suite et sans etre epuisé de
corps et d’esprit. Ce que j’en ai vu
me charme. vous parlez à ces
Messieurs de leur demander des
leçons. c’est à vous de leur en
donner. leur litterature est au
Contraire une litterature morte :
vous joignez le style à l’action
Col senno et colla mano. Je
vous en rendrai bon compte
mardi.

 

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