Lettre à Alexandrine et à Guillaume-Auguste Lamey, 3 février 1853

  • Cote de la lettre ED-IN-1853-FEV-03-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Alexandrine LAMEY
  • Date 3 Février 1853
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 137-138.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,4x27
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 3
  • Œuvre concernée Salon de la Paix, Hôtel de Ville de Paris
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Transcription modernisée

Ce 3 février 1853

 

Chère cousine et amie,

Je suis bien honteux de n’avoir pas répondu à votre première
lettre et la seconde, tout en augmentant ma confusion, m’a fait
cependant un grand plaisir puisqu’elle me parle de vous. J’y vois seulement avec peine que vous n’êtes pas contente de votre santé : la même cause a été en partie celle de mon silence. J’ai été très souffrant tout ce commencement d’année. J’ai éprouvé, dans l’ouvrage que j’avais entrepris à l’Hôtel de ville, un très grand désappointement et, par suite, une fatigue telle que ma santé s’en ressent encore. J’avais été obligé de travailler chez moi aux peintures dont j’étais chargé, parce que la salle à laquelle elles étaient destinées était elle-même encombrée d’ouvriers. Cette salle est si obscure que, contre toute prévision, j’ai été obligé de retravailler considérablement et sur place, c’est-à-dire en peignant au plafond tout ce que j’avais fait précédemment1. J’ai été forcé par la fatigue autant que par la brièveté des jours d’abandonner ce travail, que je ne reprendrai qu’au printemps. Voilà l’histoire de mes tribulations. J’espère du moins que, quand vous viendrez à Paris, comme vous m’en flattez, ainsi que mon cher cousin, je serai assez débarrassé de ce travail pour vous voir souvent et profiter de ce bon séjour. Soignez-vous bien, chère amie : nous sommes les derniers représentants d’êtres bien chers. Je les vois tous en vous et, tant que je sais que je puis vous revoir, je ne me crois pas seul. Notre chère Mme Guillemardet, qui devait venir passer son hiver à Paris avec Louis, grâce peut-être à la douceur du temps prend encore le parti de tenir à Passy2 à cause de cette terrible maladie de sa petite fille, qui passe par toutes les phases possibles mais qui semble cependant un peu mieux depuis quelque temps. Il faut bien lutter dans ce monde pour [se] défendre contre les accidents et peut-être plus encore contre les tentations et les plaisirs qu’il offre si rarement [à] cette misérable enveloppe, qui est notre tyran.

Conservez-vous encore une fois, bonne et chère cousine, et recevez mes tendresses de cœur. Je vous quitte pour dire deux mots à mon cousin.

 

Cher cousin,

Je vous dois depuis bien longtemps une réponse pour votre bon souvenir ; ma bonne cousine vous dira dans quel embarras je me suis trouvé et, par suite, le mauvais état de ma santé. Je suis bien consolé par ce qu’elle m’a appris de la vôtre et de votre projet de voyage pour cet été. Que de causeries à perte de vue, quand nous allons nous retrouver sur le petit canapé et, Dieu merci, ce monde et les événements nous en donnent une ample matière. Soignez-vous bien jusque-là, cher cousin, et recevez en attendant l’assurance de mon bien sincère attachement.

Eugène Delacroix

 


1 Dans son Journal, Delacroix mentionne le problème de l’obscurité du Salon de la Paix de l’Hôtel de ville : "Cette salle est, je crois, la plus obscure de toutes" (19 octobre 1852, Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 610) ; "Les obscurités qui sont l’effet de cette salle et auxquelles il était impossible de s’attendre à ce degré, seront, j’espère, facilement corrigées" (20 octobre 1852, Journal, éd. Hannoosh,t. I p. 610) ; "Travaillé à mes retouches du plafond tous ces jours derniers, avec des séances diverses d’ennui et de joie : ce qu’il y a faire est gigantesque ; mais si je ne suis pas malade, je m’en tirerai" (29 octobre 1852, Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 610). Voir également la lettre du  7 décembre 1852 écrite à George Sand.
2 Elle réside à Passy, 40 rue de la Tour (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 2216.)

 

 

Transcription originale

Page 1

Ce 3 fv. 1853.

 

Chère cousine et amie,

Je suis bien honteux
de n’avoir pas répondu à votre première
lettre et la seconde tout en augmen-
-tant ma confusion, m’a fait cepen-
-dant un grand plaisir puisqu’elle
me parle de vous. J’ y vois seulement
avec peine que vous n’etes pas contente
de votre santé : la même cause a eté
en partie celle de mon silence. j’ai
été très souffrant tout ce commencement
d’année. J’ai eprouvé dans l’ouvrage
que j’avais entrepris à l’hotel de ville
un très grand désappointement et
par suite une fatigue telle, que ma
santé s’en ressent encore. J’avais eté
oblige de travailler chez moi aux peintures

 

Page 2

dont j’etais chargé parce que la
salle à laquelle elles etaient destinées
etait elle-même encombrée d’ouvriers
Cette salle est si obscure que, contre toute
prévision j’ai eté obligé de retravailler
considerablement et sur place, c’est
à dire en peignant au plafond tout
ce que j’avais fait précedemment. J’ai
eté forcé par la fatigue autant que
par la brieveté des jours d’abandon-
-ner ce travail que je ne reprendrai
qu’au printemps. Voila l’histoire de
mes tribulations. J’espere du moins que
quand vous viendrez à Paris comme
vous m’en flattez ainsi que mon cher
cousin, je serai assez débarrassé de ce
travail pour vous voir souvent et
profiter de ce bon séjour. Soignez vous
bien, chère amie : nous sommes les
derniers representants d’etres bien chers.

 

Page 3

Je les vois tous en vous et tant que
je sais que je puis vous revoir je ne
me crois pas seul. Notre chère
madame Guillemardet qui devait
venir passer son hiver à Paris avec
Louis, grâces peut etre à la douceur
du temps prend encore le parti de tenir
à Passy à cause de cette terrible maladie
de sa petite fille, qui passe par toutes les
phases possibles, mais qui semble cependant
un peu mieux depuis quelque temps. Il
faut bien lutter dans ce monde pour
[mot lacunaire] defendre [mot barré illisible] contre les accidents et
peut etre plus encore contre les tentations
et les plaisirs qu’il offre si rarement [mot lacunaire]
cette miserable enveloppe qui est notre
tyran. Conservez vous encore une fois
bonne et chère cousine et recevez mes
tendresses de cœur. Je vous quitte pour
dire deux mots à mon cousin.

Cher cousin-

 

Page 4

Je vous dois depuis bien longtemps
une réponse pour votre bon souvenir
ma bonne cousine vous dira dans
quel embarras je me suis trouvé et
par suite le mauvais etat de ma
santé. Je suis bien consolé par ce qu’elle
m’a appris de la vôtre et de votre
projet de voyage pour cet eté. Que de
causeries à perte de vue quand nous
allons nous retrouver sur le petit
canapé [4 mots barrés illisibles] et Dieu
merci, ce monde et les evenements
nous en donnent une ample matière.
Soignez vous bien jusque là, cher cousin
et recevez en attendant l’assurance
de mon bien sincère attachement.

EugDelacroix

 

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