Lettre à Henriette de Verninac, 12 août 1820

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-AOU-12-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 12 Août 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. I, p. 68-71.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 25,7x36,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 21
  • Données matérielles Trou au feuillet droit et écriture à l’encre métallo-gallique
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Transcription modernisée

Madame
Madame Verninac

Poste restante à Mansle
Charente

 

Le 12 août 1820.

 

J’ai reçu ta lettre du 13 août [sic], ma chère sœur. Par la manière dont tu as calculé les dépenses que nous aurons à faire, je prévois un peu de difficulté à en venir à bout. Par exemple, tu m’avais dit dans ta lettre qui est venue avec les 300 fr. que je prisse là-dessus 110 fr. pour moi, 10 fr. pour Charles, plus la façon de mon habit 1 ; et dans le nouveau compte qui vient plus de dix jours après cela, tu me refais un autre calcul par lequel je ne dois dépenser que 99 fr., encore la façon de l’habit y est-elle comprise. Si tu m’eusses fait le compte en m’envoyant l’argent, il m’aurait été possible sans doute de m’y conformer ; mais me voyant une latitude de 110 fr., j’ai disposé de manière qui m’était nécessaire. Je suis extrêmement fâché que tu n’aies pas pensé à cela plus tôt. Il me reste de ces 110 fr. environ 40 fr., et je ne suis pas encore au 20 août. J’ai payé là-dessus des choses arriérées, telles que [le] maître d’armes 2 et quelque peu d’argent emprunté pour payer le surplus des draps de mon habit. Tu vois que dans tout cela il n’y a pas de ma faute. Aussitôt que j’ai reçu ta lettre, j’ai fait ta commission relativement au retirement des effets. Mes couverts ont pesé 5 marcs, 7 gros et m’ont été payés 267 fr. 75 c. Les cuillers à ragoût ont donné 120 fr. et le tout pesait 7 marcs, 7 gros. Ce qui faisait une somme de 377 fr. 75 c. J’ai pris ce qui restait des 300 fr. sur lesquels j’avais pris 110 fr. pour moi, 10 fr. pour Charles, 37 fr. 50 c. pour la portière et 18 fr. pour l’abonnement du Courrier 3. Ce reste se montait donc à 135 fr. joints au 377 fr. 75 c. que j’avais eus de mes couverts et des cuillers à ragoût cela faisait 512 fr. J’ai été rue des Petits Augustins et pour les trois articles j’ai payé 440 fr. 45 c. C’est donc 72 fr. qui me restent de cet argent. Nous ferons notre possible pour suffire à nos dépenses ; nous mettrons à tout la plus grande économie. Voir si de cette façon cela peut s’arranger.

Je pense que vous avez reçu les greffes en bon état 4. Elles ont été emballées par le bon jardinier avec un soin tout particulier. Il a mis une foule d’espèces favorables au climat de la Charente, et toutes espèces que l’on ne trouve pas partout. Tu auras trouvé entre les deux petites planches qui formaient l’adresse, une note explicative de tous les échantillons envoyés avec des numéros qui se correspondaient. Elle a été arrangée de la sorte pour que l’humidité des plantes ne la gâte pas. J’ai recommandé le tout au conducteur. Je souhaite qu’il ne leur soit rien arrivé. Il est impossible d’être plus actif et plus obligeant que ne l’ont été toutes les bonnes gens du Jardin des Plantes.

Avec quel plaisir je vais te revoir et me dédommager de mon long exil. J’espère pouvoir partir avec Charles, et il n’y aurait probablement qu’une petite lacune dans les fonds, et l’impossibilité de partir ensemble avec ce que nous avons d’argent, qui put me retenir plus tard ; à moins, comme je te l’ai marqué, que mon bon évêque, ne veuille voir une esquisse colorée du tableau qu’il veut bien commander à un misérable tel que moi 5. Je me propose de rester très peu de temps chez mon frère, seulement pour le voir un peu ; ce qui fait que même en partant après Charles, j’aurais toujours le temps de voir la Forêt avant d’aller à Souillac 6. Car, je t’avoue que malgré tout le plaisir que je puis m’y promettre, je crois que je lui préfère la douce paresse et l’absolu sans-gêne dont je jouis dans la Charente, où il n’y a ni nouvelles connaissances à faire, ni conversations à essuyer, ni ces [partie trouée] choses qui sont des amusements pour la plupart des hommes [manque] que mon esprit paresseux, maniaque et [illisible] sociable me rend malheureusement un peu redoutables. Je ferai sortir Charles trois ou quatre jours avant sa distribution 7 ; et je n’attendrai que l’argent que tu dois envoyer pour retenir sa place ou les nôtres ensembles 8.

Il me faudra peut-être faire un peu plus de dépenses qu’on ne peut calculer, à cause de mon passage à Tours et des allées et venues dans ces environs-là pour trouver mon frère ou pour l’attendre.

Une lettre que nous enverrons deux ou trois jours avant le départ t’en avertira, de manière à ce que tu prennes à ce sujet les mesures qu’il appartiendra et que le feu d’artifice attende, mèche allumée, l’apparition des héros de la fête. Adieu, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix

[en marge]
Dans tout ce que tu m’écris, il n’est question ni des ouvriers ni du domestique de Mme Brancas.

 


1 Dans le carnet de comptes qu’il tient à cette époque, il écrit : "Reçu le 3 août 310 frs par la diligence, que j’ai séparés, dont 110 pour moi. [...] pris pour le tailleur 15 " (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1437).
2 Il note dans son carnet de comptes : " Payé le maître d’armes 12 fr " (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1437).
3 Il mentionne dans son carnet de dépenses "Donné 20 frs à la portière " le 3 août 1820 et " Payé le 11 août à la portière 17 ff. 50 pour le reste de son quartier " (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1437-1438).
4 Il expédie des greffes de plantes par diligence et note dans son carnet " Donné pour le port des greffes 3 ff 55 " (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p.1438). Voir aussi la lettre du 5 août 1820.
5 Probablement La Vierge du Sacré-Coeur, tableau commandé pour la cathédrale de Nantes à Géricault à la fin de 1799 et confié par celui-ci à Delacroix. L’œuvre achevée en 1821 est aujourd’hui conservée dans la cathédrale d’Ajaccio (Jobert, p. 62). Voir aussi les lettres du 28 juillet 1820, 25 janvier 1821, 14 avril 1821, 18 juin 1821, 8 décembre 1821 et 16 janvier 1822.
6 Au château de Croze, propriété des Verninac dans le Lot.
7 La distribution des prix du lycée Louis-le-Grand.
8 Il note dans son carnet " Payé le 18 [août] pour les passeports - 4 frs " pour se rendre avec Charles à la forêt de Boixe où résidaient les Verninac. En route, Delacroix passe chez son frère Charles au Louroux, près de Tours (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p.1438-1439).

 

Transcription originale

Page 1

Madame
Madame Verninac
Poste restante à Mansle
Charente

 

Page 2

le 12 aout 1820.

 

J’ai reçu ta lettre du 13 août, ma chère sœur. Par la
manière dont tu as calculé les depenses que nous aurons à faire je
prevois un peu de difficulté à en venir a bout. Par exemple, tu [mot barré illisible]
m’avais dit dans ta lettre qui est venue avec les 300 fr : que je
prisse la dessus 110#. pour moi, 10 fr. pour Charles plus la façon de
mon habit, et dans le nouveau compte qui vient plus de dix jours
après cela tu me refais un autre calcul par lequel, je ne dois depenser
que 99#. encore la façon de l’habit y est elle comprise. Si tu m’eusses
fait le compte en m’envoyant l’argent, il serait f m’aurait eté possible
Sans doute de m’y Conformer; mais me voyant une latitude de
110 fr. j’[rature] ai disposé de manière qui m’etait necessaire. Je suis
extrêmement faché que tu n’aies pas pensé à cela plus tot. Il me reste
de ces 110 fr. environ 40 fr. et je ne suis pas encore au 20 aout. J’ai
payé là dessus des choses arrierées ; telles que Mtre. d’armes et quelque
peu d’argent emprunté pour payer le surplus des draps de mon
habit. Tu vois que dans tout cela il n’y a pas de ma faute. *
aussitôt que j’ai reçu ta lettre j’ai fait ta commission relativement au
retirement des effets. Mes couverts ont pesé 5 marcs 7 gros et m’ont
eté payés 267 – 75. Les cuillers à ragout ont donné [rature] 120 fr. et
le tout pesait 7 marcs, 3 [mot barré illisible] 7 gros. Ce qui fesait une somme
de 377 – 75c. _ J’ai pris ce qui restait des 300 fr. sur lesquels

 

Page 3

j’avais pris 110 f. pour moi, 10 fr. pour Charles, 37#50 pour la
portière et 18 fr. pour l’abonnement du courrier _ il restait Ce reste
Se montait donc à 135#. joints au 377 fr. 75 centimes [chiffre et mot interlinéaires] que j’avais eus de
mes couverts et des cuillèrs à ragout cela fesait 512#. J’ai eté rue
des petits augustins et pour les 3 articles j’ai payé 440 - 45c.
C’est donc 72# [1 mot barré illisible] qui me restent de cet argent. Nous ferons
notre possible pour suffire à nos dépenses ; nous mettrons à tout la
plus grande economie. Voir si de cette façon cela peut s’arranger.

Je pense que vous avez reçu les greffes en bon etat. elles
ont eté emballées par le bon jardinier avec un soin tout particulier.
Il a mis une foule d’especes favorables au climat de la Charente,
et toutes espèces que l’on ne trouve pas partout. Tu auras trouvé
entre les deux petites planches qui formaient l’adresse, une note
explicative de tous les échantillons envoyés avec des n°. qui se
correspondaient. je Elle a eté arrangée de la sorte pour que
l’humidité des plantes [2 mots interlinéaires] ne la gâte pas. Je l’ J’ai recommandé le tout au
conducteur. Je souhaite qu’il ne leur soit rien arrivé. Il
est impossible d’etre plus actif et plus obligeant que ne l’ont
eté toutes les bonnes gens du jardin des plantes.
Avec quel plaisir je vais te revoir et me dedomager
de mon long exil. J’espère pouvoir partir avec Charles, et il
n’y aurait probablement [3 mots barrés illisibles] qu’une petite lacune dans
les fonds et l’Impossibilité de partir ensemble [mot interlinéaire] avec ce [trou sur le mot] que nous

 

Page 4

avons d’argent qui put me retenir plus tard, à moins comme
je te l’ai marqué, que mon bon evêque, ne veuille voir une esquisse
colorée du tableau qu’il veut bien commander à un miserable tel que
moi. Je me propose de rester très peu de temps chez mon frère ; Ce qui fait Seulement pour le voir un peu ; ce qui fait que même
en partant après Charles, j’aurais toujours le temps de voir la forêt
avant d’aller à Souillac. Car je t’avoue, que malgré tout le plaisir
que je puis m’y prometter, je Crois que je lui prefere la douce paresse
et l’absolu sansgêne dont je jouis dans la charente, où il n’y a
ni nouvelles connaissances à faire, ni Conversations à essuyer, ni ces
[trou avec 1 mot illisible] choses qui sont des amusements pour la plupart des hommes
[partie trouée] qui ne sont que que mon esprit paresseux et, maniaque et [illisible]
sociable me rendent malheureusement un peu redoutables. Je ferai
sortir Charles 3 ou 4 jours avant sa distribution ; et je n’attendrai que
l’argent que tu dois envoyer pour retenir sa place ou la mienne les notres ensembles [3 mots interlinéaires]

Il me faudra peut-etre faire un peu plus de dépenses qu’on
ne peut calculer, à cause de mon passage à tours et des allées et venues
dans ces environs là pour trouver mon frère ou pour l’attendre.

Une lettre que nous enverrons deux ou trois jours avant le
depart t’en avertira, de maniere à ce que tu prennes à ce sujet
les mesures qu’il appartiendra et que le feu d’artifice, attende
mêche allumée, l’apparition des heros de la fete. adieu je
t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que mon beaufrère.

E. delacroix

 

[plusieurs mots raturés, trous correspondants]

[en marge gauche de la 3e page, à la verticale, sans appel de note]
dans tout ce que tu m’ecris il n’est question ni des ouvriers ni du
domestique [petite rature] de Mde Brancas.

 

 

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