Lettre à Henriette de Verninac, 21 mai 1822

  • Cote de la lettre ED-IN-1822-MAI-21-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire
  • Date 21 Mai 1822
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 124-126.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 2
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 23,6x18,7
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 53
  • Œuvre concernée Barque de Dante (la)
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Transcription modernisée

A Madame Veuve Verninac
Poste restante.
A Mansle, Charente


23 mai


mardi 21 mai 1822.

Ma chère sœur,

François Verninac sort de chez moi et vient d’arriver de Marseille pour chercher sa mère1 qui revient de Lille et que je verrai demain matin. Notre malheur les a tous vivement affectés2 ; son père inquiet de ton sort et de celui de Charles a eu une idée qui m’était venue et dont je ne t’avais pas encore parlé. Mon cher beau-frère eut peut-être eu une sorte de répugnance à ne pas voir son fils suivre une carrière analogue à la sienne ; mais dans ce temps, qu’y a-t-il de solide que les biens acquis dans l’indépendance du commerce3 ? Je connais dans mon cher Charles un esprit aussi juste que ferme. Le dédale des lois inventées par les hommes et les professions qui sont fondées sur ce chaos, ne sont propres qu’à mettre perpétuellement dans [une] fausse position la conscience d’un homme d’honneur, et ne conduisent guère [à la] fortune qu’en l’assouplissant, cette conscience. La véritable aristocratie, la seule que [notre] raison et le bonheur ne réprouvent point, c’est celle qu’établit le commerce. C’est la profession d’un homme qui arrive à ne flatter aucun caprice et qui apprécie les choses à leur juste valeur. Celui qui s’y conduit avec sagesse est sûr de réussir. Nous voyons de nombreux exemples de ces fortunes nées de rien et que le commerce a rendues énormes. Cette idée t’est venue bien sûrement et Charles ne doit pas, je pense, hésiter. Tous les gens raisonnables lui donneront même conseil : travaillant près de son oncle et de son cousin, aidé de leur nom et du sien propre, il arrivera en très peu de temps à une fortune qui est toujours dépendante du caprice des hommes dans toutes les autres parties. Il n’est peut-être pas impossible que tu te réunisses à lui pendant qu’il suivra cette carrière. L’important serait toujours qu’il en sentît l’avantage, comme je pense qu’il le fait. Nous parlerons de tout cela à loisir quand nous nous verrons. Je vois avec peine que le paiement de mon tableau se retarde 4. Il faut absolument que je paie avant mon départ ce que je dois à mon marchand de couleurs qui s’élève à une cinquantaine d’écus. Je compte pour cela sur ce malheureux paiement qui ne se fait pas. J’aurais désiré également m’acheter des bas et quelques chemises, etc., choses indispensables maintenant. Adieu ma chère sœur. Je vais chez M. Lacan lui porter ta lettre du 16 mai et voir ensuite si je puis savoir quelque chose sur les lettres interceptées. Je t’embrasse tendrement.

Tu n’auras pas oublié que je suis presque sans le sou grâce aux contraintes du reçu.

E. Delacroix


1 Marie-Anne de Verninac Saint-Maur épouse de François de Verninac-Laqueygues et soeur de Raymond de Verninac.
2 Raymond de Verninac est décédé le 23 avril 1822.
3 Certains membres de la famille Verninac sont alors établis comme négociants à Marseille sous le nom Verninac et Cie (Indicateur de Marseille, 1807-1830).
4 Très probablement La Barque de Dante exposée au Salon à partir d’avril 1822. Le tableau est finalement acheté par l’Etat en juin 1822 pour 2000 francs.

Transcription originale

Page 1

à Madame
Madame Ve Verninac
Poste restante.
à Mansle.
Charente

23 mai

Page 2

mardi 21 mai 1822.

Ma chere sœur,
françois Verninac sort de chez moi et vient d’arriver de Marseille
pour chercher sa mère qui revient de Lille et que je verrai demain matin.
notre malheur les a tous vivement affectés : [plusieurs mots barrés illisibles]
que son père inquiet de ton sort et de celui de Charles a eu une idée qui m’etait
venue et dont je ne t’avais pas encore parlé. Mon cher beau frère eut peut être
eu une sorte de repugnance à ne pas voir son fils suivre une carriere analogue
à la sienne : mais dans ce temps, qu’y a t il de solide que les biens acquis
dans l’independance du commerce. Je connais dans mon cher Charles un esprit
aussi juste que ferme. Le dedale des lois inventées par les hommes et les professions qui
ont fondées sur ce cahos, ne sont propres qu’à mettre perpetuellement dans [une]
fausse position la conscience d’un homme d’honneur, et ne conduisent guère [à la]
fortune qu’en l’assouplissant cette conscience. La veritable aristocratie [une rature], la seule que [notre] ]
raison et le bonheur ne reprouvent point c’est celle qu’etablit le commerce. C’est la profession]
d’un homme qui arrive a ne flatter aucun caprice et qui scait apprecie les choses à
leur juste valeur. Celui qui s’y conduit avec sagesse est sûr de reussir : nous
voyons de nombreux exemples de ces fortunes nées de rien et que le commerce a
rendues enormes. Cette idée t’est venue bien surement et charles ne doit pas
je pense hesiter. tous les gens raisonnables lui donneront même conseil : travaillant
près de son oncle et de son cousin, aidé de leur nom et du sien propre, il arrivera
en très peu de temps à une fortune qui est toujour dependante du caprice des hommes
dans toutes les autres parties. Il n’est peut etre pas impossible que tu te reunisse
à lui pendant qu’il suivra cette carriere. l’important serait toujour qu’il en
sentit l’avantage comme je pense qu’il le fait. Nous parlerons de tout cela à loisir
quand nous nous verrons. Je vois avec peine que le payement de mon tableau se
retarde. Jamais il faut absolument que je paie avant mon depart ce que je dois à mon
Me. de couleurs qui s’eleve à une cinquantaine d’ecus. C’est ce je comptes pour cela sur
ce malheureux payement qui ne se fait pas. j’aurais desiré egalement m’acheter des
bas et quelques chemises &… Choses indispensables maintenant. --- adieu
ma chere sœur ; je vais chez Mr. Lacan lui porter ta lettre du 16 mai et voir ensuite
si je puis savoir quelque chose sur les lettres interceptées. je t’embrasse tendrement
tu n’auras pas oublié que je suis presque sans le E. Delacroix

sou grace aux contraintes du recu.
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