Lettre à Henriette de Verninac, 11 avril 1820

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-AVR-11-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 11 Avril 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 41-43.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 2
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 25,9x20,8
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 12
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Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante à Mansle
Charente.

Le 11 avril 1820.

Je reçois ma chère sœur ta lettre du 8 où tu me marques de grandes inquiétudes sur la santé de Charles. Comme je pense que tu dois avoir reçu ma dernière1, où je crois t’avoir parlé de ce cher neveu et de son admirable santé toujours croissante, je ne te donnerai pas de nouvelles assurances. Sois bien persuadée que s’il lui arrivait la moindre chose, tu en serais instruite à l’instant même, et en cas de maladie, je le retirerais près de moi et ne le quitterais pas. Je lui ai fait de grands reproches pour t’avoir parlé de sa prétendue bataille2, sans t’en dire le résultat. Il y a eu à ce qu’il paraît quelques yeux pochés de part et d’autre. Il y a eu ensuite un repas où tout s’est oublié. Ton fils n’était pas à la bataille, mais il n’a pas vu de danger à prendre sa part du repas. Ainsi il n’a pu souffrir tout au plus que d’indigestion. J’avais commencé cette lettre sur une feuille simple, comptant y intercaler celle du commissionnaire de Montrouge dont j’ai reçu la réponse mais, comme elle est un peu volumineuseX, je m’en vais tout uniment transcrire ici ce qu’il dit de faire3. Prie mon beau-frère de me donner des renseignements exacts sur les démarches convenables, s’il pense qu’il y ait lieu.

Voici ce qu’il dit (je supprime les fautes d’orthographe) :
« Sur les renseignements que vous me demandez, je ne puis vous donner d’autre conseil, sinon que de vous engager à aller à la direction, rue des Francs-Bourgeois, où les registres ont été portés. Si votre eau de vie vous a été livrée par moi, c’est par la barrière d’Enfer4 que cette eau de vie est entrée. Je voudrais vous être plus utile, mais la chose que vous demandez est un peu difficile à cause des grandes recherches qu’il y aura à faire. J’ai l’honneur etc. »

Voici où nous en sommes pour l’argent.

De l’avant dernier envoi que vous m’aviez fait pour vous, il me restait 52 francs. Le Lycée n’était pas payé. Je l’ai fait avec cet argent, en y joignant 66 francs 50, que j’ai avancés pour compléter la somme de 117 francs 50 que l’on demandait5. Ensuite j’ai reçu les 274 francs du pâté. Sur les 138 francs qui restaient à mon beau-frère, après avoir prélevé ma pension et celle de Charles, 100 ont été pris pour le loyer. Je t’ai marqué que j’avais donné à la portière 37 francs 50 au lieu de 24, comme tu l’avais pensé6. Mais comme le locataire a payé en outre de ses 400 francs le sou pour livre, montant à peu près à 22 francs, en prenant sur ces 22 francs l’abonnement de La Minerve7, et y compris quelques mitrailles qui sont au fond du sac de mon beau-frère, il reste 9 ou 10 francs. Vois maintenant ce qu’il convient d’envoyer pour les ouvriers dont je t’ai envoyé la note. Toute cette confusion de ce qui était à moi, à mon beau frère, m’a donné un peu de peine à déchiffrer. Mais cela me paraît assez tiré au clair maintenant. Je fais réflexion dans ce moment que la seconde moitié du toupet8 n’étant pas payée, ces 9 francs vont être dépensés. J’y ajouterai de quoi faire les 12 francs qui, joints aux 66 francs 50 que j’ai avancés pour la pension de Charles, me feront environ 89 francs que vous me devez.

Adieu ma chère sœur, je t’embrasse de tout mon cœur. Je conçois quelle a dû être ton inquiétude en restant si longtemps sans nouvelle. Mais c’est le retard de ces maudits livres qui en est cause9. Je comptais qu’ils arriveraient aussi vite que la poste et je comptais te répondre sitôt que tu m’aurais accusé réception desdits livres et du toupet. Adieu encore une fois. Mille choses à mon beau-frère.

E. Delacroix

On m’a demandé des nouvelles de notre chère Bibi10. Tu ne m’en parles jamais non plus que du chien. Charles, si je m’en souviens bien m’avait donné de fâcheuses nouvelles de la santé de Solliveau11. Dis-moi je te prie ce qui en est.

Je t’enverrai par Mme Lamey un petit papier qui est ton compte particulier.

[renvoi en marge gauche, signalé dans le texe par une croix] N’étant pas sûr de trouver Piron aujourd’hui pour qu’il me l’affranchisse, je n’a[i] [illisible] risquer de faire payer la lettre plus cher.


1 Lettre à Henriette du 7 avril 1820.
2
Au Lycée impérial, où Charles de Verninac était scolarisé. Cette bataille est également évoquée dans la lettre à Henriette du 7 avril 1820.
3
Comme souvent, il est ici question de l’une des affaires dont Henriette
demandait à son frère de s’occuper.
4
Ancienne barrière d’octroi de l’enceinte des Fermiers généraux, comportant deux pavillons construits en 1787 par Claude Nicolas Ledoux (1736-1806), située sur l’actuelle place Denfert-Rochereau à Paris.
5
Pour la scolarisation de Charles de Verninac au Lycée impérial. Dans le carnet de comptes qu’il tient à cette époque, Delacroix note en janvier : « le lycée demande 117 f 50 » (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1433). Comme il l’écrit dans le même document, cette somme est réglée le 7 avril. Selon la retranscription qu’en livre Michèle Hannoosh, il note alors : « […] au Lycée 117 fr. 50, ce qui fait 26 fr. 50 avancés à ma sœur » (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1435). Pour les 26 francs 50 ici cités, il s’agit peut-être d’une erreur de retranscription, puisque, dans la lettre nous occupant, le montant de l’avance en question s’élève à 66,50 francs.
6
Delacroix avait fait part de ce règlement à sa sœur dans la lettre du 7 avril 1820. Il avait eu lieu en janvier. Dans le carnet de comptes qu’il tient à cette époque, il note en effet : « Le 20 janvier payé à la portière pour ma sœur 37,50 » (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1433).
7
Il était déjà question de cet abonnement dans la lettre à Henriette du 13 janvier 1820. La Minerve française, journal auquel collaborèrent notamment Benjamin Constant (1767-1830) et Pierre Louis de Lacretelle (1751-1824), paraît de février 1818 à mars 1820. La publication n’existe donc plus lorsque Delacroix écrit ici, ce dont il informera sa sœur dans sa lettre du 19 avril.
8 L’achat puis l’envoi de ce toupet ont déjà été évoqués par Delacroix dans plusieurs lettres à sa sœur, celles des 13 janvier, 25 février, 1er mars et 7 avril 1820.
9
Delacroix avait déjà évoqué ce point dans sa lettre précédente.
10
Probablement un animal domestique.
11
Chien de chasse de la famille Verninac. Orthographié "Soliveau" ou "Joliveau"dans les lettres à Henriette des 11 octobre et 14 décembre 1821.

Transcription originale

Page 1

[à l’envers] 17 avril

À Madame

Madame Verninac

Poste restante à Mansle

Charente.

[suite de la lettre en marge gauche]

Cela se qui [un mot interlinéaire] joint aux [chiffre raturé] 66.fr50 que j’ai avancés pour la pension de Charles, me feront environ
89 fr. que vous me devez.

adieu ma chère sœur, je t’embrasse de tout mon cœur. Je conçois quelle a du
être ton inquietude en restant si longtemps sans nouvelle. Mais comme c’est le retard de ces
maudits livres qui en est cause. Je comptais qu’ils arriveraient aussi vite que la poste et
je comptais te repondre, sitôt que j’aurai tu m’aurais accusé reception des dits livres et du toupet
adieu encore une fois. mille choses à mon beau frere.     E. Delacroix

[fin de la lettre en marge droite]

[rature] On m’a demandé des nouvelles de notre chère Bibi. tu ne m’en parles jamais non plus
que du chien. Charles, si je m’en souviens bien m’avait donné de facheuses nouvelles de
la santé de Solliveau. dis moi je te prie ce qui en est. Je joins ici un papier qui est ton compte particulier. Je t’enverrai par Mde Lamey un petit papier qui est ton
compte particulier.

Page 2

Le 11 avril 1820.

Je reçois ma chère Sœur ta lettre du 8 où tu me marques de grandes
inquietudes sur la santé de Charles. Comme je pense que tu dois avoir reçu ma
derniere, où je crois t’avoir parlé de ce cher neveu et de son admirable santé
toujours croissante, je ne te donnerai pas de nouvelles assurances. Sois bien
persuadée
que s’il lui arrivait la moindre chose, tu en serais instruite à l’instant même, et en cas
de maladie, je le retirerais près de moi et ne le quitterais pas. Je lui ai fait de grands
reproches de sa pour t’avoir parlé de sa pretendue bataille, sans t’en dire le
resultat. Il y a eu à ce qu’il parait quelques yeux pochés de part et d’autre.
Il y a eu ensuite un repas où tout s’est oublié. Ton fils n’était pas a la bataille :
mais il n’a pas vu de danger a prendre sa part du repas. Ainsi il n’a pu souffrir
tout au plus que d’indigestion. – J’avais commencé cette lettre sur une feuille simple
comptant y intercaller celle du commissionnaire de mont rouge dont j’ai reçu la
reponse mais comme elle est un peu volumineuseX je m’en vais tout uniment transcrire
ici ce qu’il dit de faire. Prie mon beau frere de me donner des renseignements exacts
sur les demarches convenables, s’il pense qu’il y ait lieu.

voici ce qu’il dit : (je supprime les fautes d’orthographe).

Sur les renseignements que vous me demandez, je ne puis vous donner d’autre conseil,
sinon que de vous engager à aller à la direction, rue des francs bourgeois, où les registres ont
été portés. Si votre eau de vie vous a été livrée par moi, c’est par la barriere d’enfer que
cette eau de vie est entrée. – Je voudrais vous être plus utile, mais la chose que vous
demandez est un peu difficile à cause des grandes recherches qu’il y aura à faire . J’ai
l’honneur etc. _____________

Voici où nous en sommes pour l’argent.

De l’avant dernier envoi que vous m’aviez fait pour vous, il me restait 52 fr. [mots barrés]
[mot barrés]. Le Lycée n’était pas payé. Je l’ai fait avec cet argent, en y joignant 66fr50, que j’ai avancés,
pour completter la somme de 117fr 50, [mots barrés] que l’on demandait. – Ensuite j’ai reçu les 274fr du pâté
sur les 138fr qui restaient à mon beau frère après avoir prelevé ma pension et celle de charles, 100 ont été pris
pour le loyer. Je t’ai marqué que j’avais donné à la portière 37fr 50c au lieu de 24, comme tu l’avais pensé
mais comme le proprilocataire a payé en outre de ses 400fr. le sou pour livre,
montant à peu près à 22fr en
prenant sur ces 22 fr. l’abonnement de la minerve, et y compris quelques mitrailles qui sont au fond du sac
de mon beau frere, il reste 9 ou 10 fr. – vois maintenant ce qu’il convient d’envoyer pour les ouvriers dont je t’ai
envoyé la note. – toute cette confusion de ce qui était à moi, [rature], à mon beau frère m’a donné un
peu de peine à dechiffrer. mais cela me parait assez tiré au clair maintenant. (je fais reflexion dans ce moment [trois mots interlinéaires] que la
seconde moitié du toupet n’etant pas payée c’est ces 9fr vont être dépensés. j’y ajouterai de quoi faire les 12 fr

[en marge gauche] x n’etant pas sur de trouver Piron aujourd’hui pour qu’il me l’affranchisse, je n’a[i] [illisible] risquer de faire payer la lettre plus cher.

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