Lettre à Henriette de Verninac, 7 avril 1820

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-AVR-07-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 07 [Avril] 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 38-40.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,9x29,4
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 11
  • Cachet de la poste [tampon triangulaire] P
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Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante à Mansle
Charente

Le 7 [avril]1 1820.

Tu dois être surprise, ma chère sœur, que j’aie autant tardé à te répondre. C’est que je m’attendais toujours à recevoir de toi la nouvelle de l’arrivée des livres et je suis bien étonné qu’ils aient été aussi longtemps en route. Les livres et le toupet étaient déjà en route lorsque j’ai reçu de mon beau-frère une lettre dans laquelle il me disait de le décommander s’il était possible. Quant à la page double, je suis passé chez le libraire. Comme il n’est pas l’éditeur de l’ouvrage, il ne peut se procurer la feuille manquante qu’en reproduisant celle qui est double. Il faudra donc que tu aies la bonté de la renvoyer de suite. Mets-la sous bande : je crois que cela sera possible. Il faudra pourtant l’envelopper de manière à ce qu’elle ne soit pas endommagée. Tu me l’adresseras et je ferai le reste.

J’ai toujours été en balance jusqu’ici pour l’appartement2 qu’on venait voir et pour lequel on offrait des conditions pour lesquelles j’étais sur le point de t’écrire. Mais les personnes s’en désistaient avant de m’en laisser le temps. Je t’écris rapidement cette lettre à ce sujet, et je te prie de me répondre sans le moindre intervalle sur ce que je vais te demander. On veut avoir avec l’appartement la petite chambre prés de la mienne ; mais on veut absolument en même temps les trois autres chambres de domestiques. Comme ta note porte expressément d’en conserver une, je n’ai osé faire affaire, quoique j’en eusse bien envie ; car je crois qu’il sera difficile de louer sans cela : ces personnes entreraient le 15 avril et désireraient faire un bail de trois ou six ans. Comme je crois que notre bail était pour quatre ans et qu’il y en a déjà un d’écoulé, ce ne serait peut-être pas mauvais de le faire pour trois seulement. On désirerait aussi avoir un papier dans la pièce à côté de ma chambre et dans celle qui est sur la rue. Dans le cas où tu y consentirais, ce serait je pense 1450 francs qu’il faudrait demander. Je crois qu’il n’y a rien à leur demander pour le portier et que tu le paies. S’il en était autrement, écris-le moi, et cela tout de suite : car pendant ce temps ils sont en recherche. J’aurais peut-être encore bien pris sur moi de louer, dans l’incertitude de trouver d’autres personnes, mais ils paraissent aussi tenir à ne donner que 1400 francs net.

Je compte t’écrire plus au long ces jours-ci pour les comptes d’argent. Pour les impositions, j’ai fait ce que mon beau-frère désirait. De chez M. Dutramblay3 où j’avais été pour déclarer la maison, on m’a renvoyé rue Vieille-du-Temple, à la direction générale des impositions. Là, on m’a dit que, les rôles n’étant point faits, on ne pouvait encore imposer la maison. J’ai dit que mon locataire partant au 15 avril, je désirais être payé de mes impôts. Alors on a pris le nom de ce monsieur et ils m’ont dit qu’ils l’imposeraient dans l’endroit où il allait loger. Voilà tout ce que j’ai pu obtenir. Quant aux impôts de 1819, il n’en est plus question.

Les pâtés sont arrivés bien à point : ils étaient excellents. Tu ne perds pas ton talent quoiqu’éloignée du temple du goût. Nous avons admiré aussi le pâté de jambon, il était tendre et fait à ravir. Mon neveu, que j’ai fait sortir pour ces fêtes de Pâques, s’en est donné à loisir. Nous avons été au spectacle : enfin nous avons mené une bonne vie pendant ce temps. Ce cher neveu devient grand et fort. Sa santé est excellente. Je suis sûr qu’aux vacances il sera plus grand que moi. Toutes ces batailles auxquelles il ne s’est pas trouvé ont fini par une réconciliation générale4.

Adieu ma chère sœur : excuse ma mauvaise plume et mon mauvais papier, je t’écrirai bientôt plus au long, mais je n’ai pas de temps à perdre pour te faire parvenir ceci. Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix

Mon beau-frère n’avait compté la portière que pour 24 francs et c’est 37 francs 50 que je lui ai donné5. Elle dit que c’est là son quartier.


1 "Mars" avait été écrit par Delacroix, puis barré. "Avril" a été écrit au-dessus par une autre main, probablement celle de Joubin qui retient la date du 7 avril 1820 (Joubin, t. V, p. 38). Il ne peut effectivement pas s’agir du 7 mars, la précédente lettre de Delacroix à sa sœur remontant au 1er mars et l’artiste laissant ici entendre ne pas lui avoir écrit depuis un certain temps. En outre, Delacroix évoque ici les fêtes de Pâques, ce qui, pour l’année 1820, renvoie au 2 avril.
2 De l’hôtel du 114, rue de l’Université dont Delacroix s’occupait d’assurer la sous-location pour Henriette et Raymond de Verninac.
3 Non identifié. Ce personnage travaillait apparemment dans l’administration.
4 Pour plus de détails à ce sujet, voir la lettre à Henriette du 11 avril 1820.
5 Ce règlement avait eu lieu en janvier. Dans le carnet de comptes qu’il tient à cette époque, Delacroix note en effet : "Le 20 janvier payé à la portière pour ma sœur 37,50" (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1433).

Transcription originale

Page 1

[à l’envers]10. avr

 

À Madame

Madame Verninac

Poste restante

à Mansle

Charente

Page 2

le 7 mars [avril] 1820.

tu dois etre surprise, ma chere sœur, que j’aie autant
tardé à te répondre. C’est que je m’attendais toujours à recevoir
de toi la nouvelle de l’arrivée des livres et je suis bien
étonné qu’ils aient été aussi longtemps en route. Les livres
et le toupet etaient déjà en route, lorsque j’ai reçu de mon
beau frère, une lettre dans laquelle il me disait de le
decommander s’il etait possible. Quand à la page double,
je suis passé chez le libraire. Comme il n’est pas l’editeur
de l’ouvrage, il ne peut se procurer la feuille manquante
qu’en reproduisant celle qui est double. Il faudra donc
que tu aies la bonté de la renvoyer de suite. Mets la
sous bande : je crois que cela sera possible. Il faudra pourtant
l’envelopper de maniere à ce qu’elle ne soit pas endommagée.
tu me l’adresseras et je ferai le reste.

J’ai toujours été en balance jusqu’ici, pour l’appartement
qu’on venait voir et pour lequel on offrait des conditions
pour lesquelles j’étais sur le point de t’écrire. Mais les
personnes s’en desistaient avant de m’en laisser le temps.
Je t’écris rapidement cette lettre à ce sujet, et je te prie de
me repondre sans le moindre intervalle, sur ce que je vais te
demander. On veut louer avoir [un mot interlinéaire] avec l’appartement la petite
chambre pres de la mienne : mais on veut absolument en
même temps les trois autres chambres de domestiques. Comme

Page 3

ta note porte expressement d’en conserver une, je
n’ai osé faire affaire, quoique j’en eusse bien envie :
car je crois qu’il sera difficile de louer sans cela : ces
personnes entreraient le 15 avril et desireraient
faire un bail de 3 ou 6 ans. Comme je crois
que notre bail était pour 4 ans et qu’il y en a
déjà un d’écoulé, ce ne serait peut-etre pas mauvais
de le faire pour 3 seulement. on desirerait aussi
avoir un papier dans la piece à coté de ma chambre
et dans celle qui est sur la rue. Dans le cas où tu
y consentirais ce serait je pense 1450 fr qu’il faudrait
demander. [un mot barré] je crois qu’il n’y a rien à leur demander
pour le portier et que tu le paies. S’il en était autrement
ecris le moi, et cela tout de suite : car pendant ce temps
ils sont en recherche. J’aurais peut etre encore bien
pris sur moi de louer, dans l’incertitude de trouver
d’autres personnes : mais ils paraissent aussi tenir
à ne donner que 1400 fr. nets.

Je compte t’ecrire plus au long ces jours ci pour
les comptes d’argent. Pour les impositions, j’ai fait ce que
mon beau frere desirait. de [un mot interlinéaire] chez Mr. Dutramblay où j’avais

Page 4

été pour déclarer la maison, on m’a renvoyé rue vieille [un mot interlinéaire] du temple,
à la direction gen.le des impositions. Là on m’a dit que les rôles
n’etant point faits on ne pouvait encore [un mot interl.inéaire] imposer la maison. J’ai dit
que mon locataire partant au 15 avril, je desirais etre payé de
mes impots. alors on a pris le nom [un mot barré] de ce monsieur et
ils m’ont [un mot barré] dit qu’ils l’imposeraient dans l’endroit où
il allait loger. Voila tout ce que j’ai pu obtenir. Quand
aux impots de 1819, il n’en est plus question.

Les Patés sont arrivés bien à point : ils etaient excellents.
Tu ne perds pas ton talent quoiqu’éloignée du temple du
gout. Nous avons admiré aussi le pâté de jambon, il
était tendre et fait à ravir. Mon neveu que j’ai fait
sortir pour ces fêtes de Pâques, s’en est donné à Loisir. nous
avons été au spectacle : enfin nous avons mené une bonne
vie pendant ce temps. Ce cher neveu devient grand et
fort. Sa santé est excellente. Je suis sur qu’aux vacances
il sera plus grand que moi. – [plusieurs mots barré] Toutes ces batailles auxquelles [quatre mots interlinéaires]
il ne s’est pas trouvé, ont fini par une reconciliation
generale.

adieu ma chere sœur : excuse ma mauvaise
plume et mon mauvais papier, je t’écrirai bientôt
plus au long ; mais je n’ai pas de temps à perdre
pour te faire parvenir ceci. – Je t’embrasse de
tout mon cœur ainsi que mon beau frere

mon beau frere n’avait compté la portiere que   E. Delacroix
pour 24 et c’est 37 fr 50 que je lui ai donné
elle dit que c’est là son quartier.

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