Lettre à Henriette de Verninac, le 13 janvier 1820

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-JAN-13-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 13 Janvier 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 21-24.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 24,2x38,4
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 6
  • Données matérielles trou au feuillet droit
Agrandir la page 1
Agrandir la page 2
Agrandir la page 3
Agrandir la page 4

Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante à Mansle
Charente.

 

Le 13 janvier 1820

 

Ma chère sœur,

J’ai fait les commissions que tu m’as données. Je fus voir M. Boilleau pour lui demander s’il pourrait me compter le montant de la lettre de change qui n’était que pour le 10 février. Il me l’a donné avec une grande complaisance. Il a en même temps causé avec moi des affaires et m’a montré une quittance que M. Roger1 lui avait donnée pour la somme dernièrement reçue et qui montre des intentions prononcées de poursuivre sa dette. M. Boilleau se plaint de n’avoir aucune réponse de mon beau-frère. J’ai reçu à bon port l’argent que tu avais confié au lièvre2 ; mais ne recommence pas une seconde fois à te servir de cette voie. Si l’on découvrait l’argent non déclaré, ce qui peut fort bien arriver, car on ne se fait aucun scrupule d’ouvrir les paniers et les paquets, on paierait des amendes énormes, outre, bien entendu, la confiscation des espèces. Aussi, comme Mme Lamey avait reçu la lettre avant le lièvre, nous avons frémi de ce qui pourrait arriver. Il était impossible d’arranger le tout mieux que tu ne l’avais fait pour tromper les recherches.

J’ai été dégager les deux schals, et j’ai renouvelé l’engagement des deux autres numéros que tu m’avais désignés3. Cela a été un peu plus cher que tu n’avais calculé dans ta lettre : tu m’avais mis pour le dégagement 220 francs, pour les intérêts 156 francs : le tout a été à 402 francs 30 centimes. Aie la bonté de me dire dans une réponse, s’il convient de les ranger avec du tabac, pour les préserver des vers. Je compte les mettre dans l’armoire des lieux, avec ton linge.

Demande pardon pour moi à mon beau-frère, de ce que l’abonnement de La Minerve4, a été si long à se faire. Je croyais que c’était infiniment plus cher et comme je n’avais encore rien touché de l’argent qu’il m’avait envoyé, je ne pensais pas pouvoir le faire. J’avais chargé quelqu’un qui allait dans les bureaux de ce journal de faire l’abonnement, avec la note détaillée de l’époque d’où il devait partir. Les intentions de mon beau-frère n’ont point été remplies quand au commencement de l’abonnement ; c’est-à-dire qu’il est abonné à partir des deux numéros qui ont précédé celui de la première semaine de janvier. Voilà pourquoi on ne s’abonne pas à La Minerve comme aux autres journaux, pour trois mois, six mois etc. Comme elle paraît à des époques indéterminées et qu’elle n’est pas censée ouvrage périodique, on souscrit pour treize livraisons qui font un volume, et à partir du numéro que l’on désire. C’est ce qui avait fait penser à ce jeune homme qu’il pouvait faire l’abonnement de la sorte. Je lui avais pourtant bien recommandé le contraire, mais j’ignorais moi-même ce que je viens de t’expliquer.

Le cousin Jacob5 que j’ai revu, il y a une douzaine de jours, a dû envoyer enfin une réponse. Il m’a dit qu’il ne savait pas l’adresse. Ce qui m’a étonné ; car il n’était pas difficile de le savoir par moi, en m’écrivant un mot.

Je n’ai encore rien fait pour le vermicelle, parce que je veux auparavant distribuer l’argent aux choses pressées que tu m’indiques. Également pour le toupet. J’avais enfin trouvé Attenot6 qui m’avait indiqué l’adresse d’Herbet7 : j’y ai été ; je ne l’ai pu découvrir. J’ai fait toute la rue Neuve-Sainte-Eustache etc. sans le trouver ; ce qui m’embarrassait car je ne sais trop à qui m’adresser. Je tâcherai de m’arranger, pour t’envoyer ton livre de Botanique, le toupet et le vermicelle ensemble. Dis-moi néanmoins si tu ne préfèrerais pas avoir le livre [par] la diligence, afin d’en jouir plus tôt : ce qui doit être assez u[tile] dans ton isolement. Mon oncle n’a pas encore touché ta rente8.

Voilà bien je crois tout ce que j’avais à te dire sur toutes nos commissions. Ma vie est toujours la même. Je m’ennuie d’être seul. Il fait ici un froid extraordinaire et une gelée continue et âpre, depuis une huitaine de jours. La rivière est entièrement prise : on se promène dessus. Au moment où je t’écris dans ma chambre où il y a bon feu, j’ai les mains et les pieds froids et l’eau gèle à côté de moi dans la carafe. Adieu ma chère sœur : porte-toi bien, profite de ces beaux jours pour sortir. Je te retrouverai l’année prochaine avec ma santé, j’espère, bien établie. Dis-moi des nouvelles du procès Bizemont, Coureaux, Vervant etc9. Charles se porte bien : il n’a pas été enrhumé par le froid. Je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que mon beau-frère.

Eugène Delacroix

J’ai reçu ma caisse.


1 Les frères Roger, banquiers, étaient les principaux créanciers d’Henriette et Raymond de Verninac.
2
Dans le carnet de comptes qu’il tient à cette époque, Delacroix note avoir reçu, par cette voie, 250 francs le 12 janvier (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1432).
3
Il est ici question d’un prêt sur gage au Mont-de-Piété.
4 La Minerve française, journal auquel collaborèrent notamment Benjamin Constant (1767-1830) et Pierre Louis de Lacretelle (1751-1824), paraît de février 1818 à mars 1820.
5 Delacroix a trois cousins germains du côté de la famille Jacob. Selon Joubin, il s’agit ici de celui qui occupait le poste de chef de division au ministère des Finances (Joubin, t. V, p. 23), donc de Charles Jacob.
6 Ancien domestique de Victoire Œben, mère d’Eugène Delacroix.
7 Non identifié.
8 Comme souvent, Delacroix informe sa sœur des affaires liées à la succession de leur mère.
9 Procès de Raymond de Verninac au sujet de la forêt de Boixe.

Transcription originale

Page 1

À Madame

Madame Verninac

Poste restante

à Mansle. –

Charente.

Page 2

Le 13 janvier 1820

 

Ma chere sœur,

J’ai fait les commissions que tu m’as données. Je fus voir
Mr.Boilleau pour lui demander s’il pourrait me compter le montant de la
la lettre de change qui n’etait que pour le 10 fevrier. Il me l’a donné
avec une grande complaisance. Il a en meme temps causé avec moi des
affaires et m’a montré une quittance que Mr. Roger lui avait donnée
pour la somme dernierement reçue et qui montre des intentions
prononcées de poursuivre sa dette. J’ai re il Mr. Boilleau [deux mots interlinéaires] se plaint de n’avoir aucune
réponse de mon beau frere. – j’ai reçu à bon port l’argent que tu
avais confié au lievre ; mais ne recommence pas une seconde fois à te servir
de cette voie. Si l’on decouvrait l’argent non declaré, ce qui peut fort bien
arriver, car on ne se fait aucun scrupule d’ouvrir les paniers et les paquets,
on pairait des amendes énormes, outre, bien entendu, la confiscation des
espèces. Aussi, comme Mde. Lamey, avait reçu la lettre avant le
lievre, nous avons fremi de ce qui pourrait arriver. Il etait impossible
d’arranger le tout mieux que tu ne l’avais fait pour tromper les recherches.

– J’ai été degager les deux schals, et j’ai renouvellé l’engagement
des deux autres n°s que tu m’avais designés. Cela a été un peu plus
cher que tu n’avais calculé dans ta lettre : tu m’avais mis pour le degage-
-ment 220fr, pour les interets 156fr : le tout a été a 402fr. 30c.

[deux colonnes de calculs

182             220
156             ________
____            182    30

26.                           ]

Page 3

aies la bonté de me dire dans une reponse, s’il convient de
les ranger avec du tabac, pour les preserver des vers. Je compte
les mettre dans l’armoire des lieux, avec ton linge.

Demandes pardon pour moi à mon beau frère, de ce que
l’abonnement de la Minerve, a été si long à se faire. Je croyais
que c’était infiniment plus cher et comme je n’avais encore rien
touché de l’argent qu’il m’avait envoyé, je ne pensais pas pouvoir
le faire. J’avais chargé quelqu’un qui allait dans les bureaux de
ce journal de faire l’abonnement, avec la note detaillée de l’époque
d’ou elle il [un mot interlinéaire] devait partir. Les intentions de mon beaufrere, n’ont point
été remplies quand au commencement de l’abonnement ; c’est à
dire qu’il est abonné à partir des 2 numeros qui ont precede
celui de la premiere semaine de janvier. Voila pourquoi [mot barré]
[mot barré] on ne s’abonne pas à la minerve comme aux autres
journaux, pour 3 mois, 6 mois etc. Comme elle parait à des
epoques inderterminées et qu’elle n’est pas censée ouvrage periodique,
on souscrit pour 13 livraisons qui font un Volume, et à partir du
n° que l’on desire. C’est ce qui avait fait penser à ce jeune homme
qu’il pouvait faire l’abonnement de la sorte. Je lui avais pourtant
bien recommandé le contraire, mais j’ignorais moi-même ce que je
viens de t’expliquer. –

Le cousin Jacob que j’ai revu, il y a une douzaine de jours

 

Page 4

a du envoyer enfin une reponse. Il m’a dit qu’il ne savait
pas l’adresse. Ce qui m’a etonné ; car il n’etait pas difficile de
le savoir par moi, en m’écrivant un mot.

Je n’ai encore rien fait pour le vermichel, parceque je veux
auparavant distribuer l’argent aux choses pressées que tu m’indiques.
Egalement pour le toupet. J’avais enfin trouvé Attenot qui m’avait
indiqué l’adresse d’Herbet : j’y ai été ; je ne l’ai pu découvrir. J’ai fait
toute la rue N.ve [mot interlinéaire] Ste Eustache etc. sans le trouver ; ce qui m’embarassait
car je ne sais trop à qui m’adresser. Je tacherai de m’arranger, pour
t’envoyer, ton livre de Botanique, le toupet et le vermichel ensemble,
dis moi neanmoins, si tu ne prefererais pas avoir le livre [par]
la diligence, afin d’en jouir plutot : ce qui doit être assez u[tile]
dans ton isolement. – Mon oncle n’a pas encore touché ta rente.

Voila bien je crois tout ce que j’avais à te dire sur toutes nos
Commissions. Ma vie est toujours la meme. Je m’ennuie d’etre seul.
Il fait ici un froid extraordinaire et une gelée continue et âpre,
depuis une huitaine de jours. La riviere est entièrement prise : on
se promène dessus. Au moment ou je t’ecris dans ma chambre où
il y a bon feu, j’ai les mains et les pieds froids et l’eau gèle à coté
de moi dans la caraffe. – Adieu ma chère Sœur : portes toi bien, ainsi
profite de ces beaux jours pour sortir. je te retrouverai l’année prochaine
avec ma santé, j’espere, bien etablie. dis moi des nouvelles du proces
Bizemont, Coureaux, Vervant etc… Charles se porte bien : Il n’a pas été
enrhumé par le froid. – je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que mon
beau frere –     Eugene Delacroix                            j’ai reçu ma caisse.

Précédent | Suivant