Lettre à Henriette de Verninac, 18 mai 1821

  • Cote de la lettre ED-IN-1821-MAI-18-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 18 Mai 1821
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 81-83.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,1x31,6
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 31
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Transcription modernisée

À Madame
Madame Verninac
Poste restante
À Mansle. Charente.

Le 18 mai 1821.

Je vois bien, ma chère soeur, que tu me boudes ; et ais-je le droit de m’en étonner ! Je ne t’écris point ; il y a bien longtemps que tu n’as rien reçu de moi et je m’en aperçois surtout à ton silence. C’est qu’en vérité les journées passent si vite qu’on se trouve tout de suite à un mois ou deux d’une époque, sans y penser. Déjà la fin de mai ! Je pleure déjà comme Arlequin en pensant que l’hiver approche. Nous avons depuis longtemps ici un temps affreux mêlé de soleil et de pluie qui gâte tous les arbres fruitiers et qui n’est pas fait pour hâter la convalescence d’un fiévreux1. Cela va bien pourtant ; et si le temps change, j’espère être parfaitement remis. Je n’ai pas appris sans un étonnement mêlé de chagrin que tu te dévoues aux expériences de Maître Leroy2. On vante ses cures. Mais on ne t’a peut être point parlé de ses bévues. Le beau-frère de Mme Lamey de Guadeloupe a été reduit à l’extremité par des remèdes de cet honnête consultant. À l’exception de quelques maladies particulières, comment imaginer que la débilitation qui résulte de vingt ou trente purgations continues peut avoir de bons effets, à entendre M. Leroy avec lequel j’ai eu un très long entretien qui ne m’a pas persuadé, la machine humaine est un cloaque abominable, un combat perpétuel de ce qu’il appelle des humeurs. Les mieux portant auraient encore fort à faire à les expulser entièrement. Je crois que la bonne nature qui nous a fait pour vivre n’attend pas autant qu’on l’imagine le secours des empyriques pour faire vivre. Ne crois pas que je me range pour cela du parti des médecins, parce qu’ils sont plus nombreux. Leurs systèmes ne sont pas beaucoup plus satisfaisants. Quand la maladie est légère et connue, ils lui laissent son cours, donnent de petits remèdes benins (j’entends les médecins qui ont du bon sens). Le mal a son commencement, son milieu et sa fin : un régime simple et régulier aide tout doucement la crise et tout est dit. Si le mal est grave, ou ils font des sottises avec assurance ou ils renoncent, parce qu’ils n’y voient point clair – mais en voila assez pour cet article. J’ai vu hier M. ton fils qui travaille bien et se porte bien. Le proviseur en est content3. Je ne puis passer sous silence le jambon excellent que tu nous a envoyé. Je puis t’assurer qu’il a été pris par tout le monde pour du meilleur jambon de Bayonne, et que celui que l’oncle Pascot achète hors de prix et qui se coupe comme des feuilles de papier ne lui était pas comparable. De sorte que je ne puis concevoir par quel moyen tu l’as rendu si tendre et si rempli de goût sans être salé. Je ne tarirai pas sur ce chapitre et je m’y étendrai avec plus de complaisance que je n’ai fait au sujet de messieurs les médecins, si la place ne commencait à me manquer. J’ai reçu l’argent (les 1400 francs) envoyé au commencement du mois et de plus les 150 francs pour  M. Lacan et moi. Mais je n’ai pu que porter le billet à son premier clerc, qui m’a dit que M. Lacan était à la campagne de sorte que je ne pus lui parler comme mon beau-frère me le marquait. J’y retournai plusieurs fois sans le trouver. J’y vais aujourd’hui.

Adieu ma chère soeur porte toi donc bien malgré la médecine : c’est ce que je nous souhaite à  tous deux en t’embrassant tendrement ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix.


1 Delacroix souffre de fortes fièvres depuis un séjour auprès de sa soeur dans le Forêt de Boixe en septembre 1820.
2 Médecin soignant Henriette. Delacroix le consulte en 1821 et le dépeint à demi-mot comme un charlatan (lettre du 14 avril 1821).
3 Celui du Lycée impérial.

Transcription originale

Page 1

À Madame

Madame Verninac

Poste restante

À Mansle.

Charente.

Page 2

Le 18 mai 1821.

Je vois bien, ma chère soeur, que tu me boudes; et
ais je le droit de m’en etonner! Je ne t’ecris point ; il y a bien
longtemps que tu n’as rien reçu de moi et je m’en apperçois
surtout à ton silence. C’est qu’en verité les journées passent
si vite qu’on se trouve tout de suite à un mois ou
deux d’une epoque, sans y penser. Deja la fin de mai !
je pleure deja comme arlequin en pensant que l’hyver
approche. Nous avons depuis Longtemps ici un
temps affreux melé de soleil et de pluie qui gâte tous
les arbres fruitiers et qui n’est pas fait pour hâter la
Convalescence d’un fievreux. Cela va bien pourtant ; et
si le temps change j’espere etre parfaitement remis.
je n’ai pas appris sans un etonnement melé de chagrin
que tu te devoues aux experiences de Maitre Leroy.
on Vante ses Cures. mais on ne t’a peut etre point parlé
de ses bevues. Le beau frère de Mde Lamey de la
Guadeloupe a eté reduit à l’extremité par des
remedes de cet honnête Consultant. à l’exception de
quelques maladies particulières, Comment imaginer

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que la debilitation qui resulte de Vingt ou trente
purgations Continues peut avoir de bons effets.
à entendre M. Leroy avec lequel j’ai eu un
très long entretien qui ne m’a pas persuadé,
La nature humaine La machine humaine est
un cloaque abominable, un Combat perpetuel. de
Ce qu’il appelle des humeurs. Les mieux portant auraient
encore fort à faire à les expulser entierement.  je crois
que la bonne nature qui nous a fait pour vivre,
n’attend pas autant qu’on l’imagine le secours des
empyriques pour faire vivre. Ne me crois pas que je
me range pour cela du parti des medecins, parcequ’ils
sont plus nombreux. Leurs systèmes ne sont pas beaucoup
plus satisfesant. Quand La maladie est legere et Connue,
ils lui laissent son cours, donnent de petits remèdes
benins (j’entends [un mot barré illisible]  les medecins qui ont du bon sens) –
Le mal a son commencement, son milieu et sa fin :
un regime simple et regulier aide tout doucement la crise
et tout est dit. Si le mal est grave, ou ils font des sottises
avec assurance ou ils y renoncent, parcequ’ils n’y voient

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point clair – mais en voila assez pour cet article.
j’ai vu hier Mr. ton fils qui travaille bien et se porte
bien. Le Proviseur ent est Content. Je ne puis passer sous
silence Le jambon excellent que tu nous a envoyés.
je puis t’assurer qu’il a eté pris par tout le monde pour
du meilleur jambon de bayonne, et que celui que
L’oncle Pascot achete hors de prix et qui se coupe comme
des feuilles de papier ne lui etait pas comparable. De
sorte que je ne puis Concevoir par quel moyen tu l’as rendu
si tendre et si rempli de gout sans etre salé. Je ne tarirai
pas sur ce chapitre et je m’y etendrai avec plus de Complaisance
que je n’ai fait au sujet de Messieurs les medecins, si la
place ne commencait à me manquer. – j’ai reçu [un mot barré illisible]
[un mot barré illisible] L’argent les 1400# [deux mots interlinéaires] envoyé au Commencement du mois. et de
plus Les 150 # pour  Mr Lacan et moi. Mais je n’ai
pu que porter le billet à son 1er clerc, qui m’a dit que
Mr. Lacan etait à La Campagne de sorte que je ne pus
lui parler Comme mon beau frère me le marquait. j’y
retournai plusieurs fois sans le trouver. j’y vais aujourd’hui
[plusieurs mots barrés illisibles] Adieu ma chere soeur porte toi
donc bien malgré la medecine : c’est ce que je nous
souhaite à  tous deux ent’embrassant tendrement ainsi que
mon beau frere.

E. delacroix.

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