Lettre à George Sand, 8 septembre 1843

  • Cote de la lettre ED-IN-1843-SEPT-08-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 08 Septembre 18[43]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes L’Art vivant, 1er septembre 1930, p. 706. Joubin, Corr. gén, t. II, p. 149-150. Alexandre, 2005, p. 137-138.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 36
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Transcription modernisée

8 septembre

 

Chère amie,

Votre éditeur1 a eu la galanterie de m’envoyer les deux derniers volumes de Consuelo2 et je les ai lus tout de suite et avec le plus grand plaisir. Comme j’ai beaucoup d’ennuis et beaucoup de solitude, je m’en suis emparé comme d’une nourriture consolante et, de même que vous vous réfugiez des tristesses de la vie dans la composition de figures idéales et selon votre cœur, de même je cherche les mêmes secours dans les fruits de votre imagination. J’ai retrouvé avec beaucoup de plaisir ce passage dont vous m’aviez parlé, où Consuelo se réfugie dans l’étable pour ne pas rester au milieu de l’autre étable humaine où elle étouffe au milieu de la nuit ; le jardin du chanoine, mille passages où le sentiment artiste anime votre récit de beauté, précieuse surtout pour les artistes. La mort du comte Albert3 m’a beaucoup frappé. J’y ai reconnu des impressions qui me sont particulières et que j’ai éprouvées dans des circonstances analogues. J’attends donc La Comtesse de Rudolstadt4 et je la garderai aussi pour les moments de tristesse, qui ne sont que trop fréquents, quoique la bonne Mme Marliani se plaise souvent à s’écrier : «que ce Delacroix est heureux d’être gai !».

À propos d’elle, je ne sais si elle est encore en Angleterre. J’y suis passé il y a quelque temps et elle n’était pas encore de retour. Paris est un si drôle d’endroit que vous êtes sans doute plus au courant que moi, qui vis à une demie lieue de chez elle. J’ai été bien agréablement surpris de la venue de Chopin. J’espère que ce petit déplacement ne lui aura pas été contraire. Puisse la campagne, l’air, la nature, les bœufs, tout ce qui l’entoure, vous y compris chère amie, agir sur lui comme cela fait sur moi. Je suis né pour l’air, la campagne, les bœufs, j’allais dire pour vous ; mais ça ne serait que si vous vouliez bien le permettre. Là-dessus, je vous embrasse aussi tendrement que vous me le permettrez aussi et vous prie, chère amie, de me rappeler à tout ce que vous aimez près de vous et que j’aime aussi. J’embrasse donc Chopin, Maurice, Solange, Polite ; et mille souvenirs bien reconnaissants des bons instants que j’ai passés près d’eux et de vous.

Eugène Delacroix

 


1 Selon Joubin , il s’agirait de [Félix] Bonnaire (Joubin, t. II, p. 149, n. 1). Mais
il semble plutôt s’agir de Potter (voir note suivante).
2
Parallèlement à l’édition par livraisons dans La Revue indépendante (1842-1843), le roman Consuelo est publié à Paris chez L. Potter en 8 volumes. On peut donc attribuer cette lettre à l’année 1843.
3 Personnage du roman Consuelo.
4 La comtesse de Rudolstadt, roman de George Sand, prenant la suite de Consuelo, paraît en 1844 à Paris, chez L. de Potter en 5 vol.

Transcription originale

Page 1

8 7bre


Chère amie

Votre editeur a eu la galanterie de
m’envoyer les deux derniers volumes de
Consuelo et je les ai lus tout de suite et
avec le plus grand plaisir. Comme j’ai beaucoup
d’ennuis et beaucoup de solitude, je m’en
suis emparé comme d’une nourriture consolante [mot interlinéaire] [mot barré illisible]
et de même que vous vous refugiez des
tristesses de la vie dans la composition
de figures ideales et selon votre cœur, de même
je cherche les mêmes secours dans les fruits
de votre imagination. J’ai retrouvé avec
beaucoup de plaisir ce passage dont vous
m’aviez parlé, où Consuelo se refugie dans
l’étable pour ne pas rester au milieu de
l’autre etable humaine oeù elle étouffe au

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milieu de la nuit. Le jardin du
chanoine, mille passages où le sentiment
artiste anime votre récit de beauté,
précieuse surtout pour les artistes. La
mort du Cte albert m’a beaucoup
frappé. J’y ai reconnu des impressions
qui me sont particulières et que j’ai
eprouvés dans des circonstances analogues.
J’attends donc la Ctesse de Rudolstadt, et
je la garderai aussi pour les moments
de tristesse qui ne sont que trop frequents,
quoique la bonne Me Marliani se plaise
souvent à s’ecrier : que ce Delacroix est heureux
d’être gai ! / à propos d’elle
je ne scais si elle est encore en Angleterre :
j’y suis passé il y a quelque temps et et elle
n’etait pas encore de retour. Paris est un
si drôle d’endroit que vous etes sans doute plus
au courant que moi qui vis à une demie lieue

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de chez elle. / J’ai eté bien agreablement
surpris de la venue de Chopin. J’espere que
ce petit deplacement ne lui aura pas eté
contraire. Puisse la campagne, l’air, la nature
les bœufs tout ce qui l’entoure, vous y
compris chère amie, agir sur lui comme
cela fait [mot barré illisible] sur moi. Je suis né pour l’air,
la campagne, les bœufs, j’allais dire
pour vous : mais ça ne serait que si vous
vouliez bien le permettre. la dessus je
vous embrasse aussi tendrement que
vous me le permettrez aussi et vous
prie chère amie, de me rapeller à tout
ce que vous aimez près de vous et que
j’aime aussi. J’embrasse donc Chopin
Maurice, Solange, Polite : et mille souvenirs
bien reconnaissants des bons instants que
j’ai passés près d’eux et de vous.

EgDcroix

 

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