Lettre à George Sand, 17 décembre 1859

  • Cote de la lettre ED-IN-1859-DEC-17-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 17 [Décembre] 18[59]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 138-139. Alexandre, 2005, p. 213.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,6x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 83
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Transcription modernisée

[17 décembre 1859]

Ce 17

Chère amie,

J’ai vu Bertin : il est assez penaud de votre objection1 ; il m’a chargé de vous exprimer combien il regrette ce qu’il ne peut malheureusement pas effacer, mais il s’engage à l’avenir, et vous surtout travaillant au journal, à mettre un terme à ces grossièretés insupportables2. Je ne doute pas que, si vous eussiez été à Paris, il n’eût été vous exprimer lui-même tout ce que je vous dis là ; il me l’a même dit avec une chaleur qui m’eût surpris, si je n’eusse entrevu qu’une démarche directe auprès de vous, et par écrit surtout, lui était pénible. Croyez-vous que cette lettre soit absolument nécessaire pour votre amour-propre offensé et faut-il le presser à outrance à cet égard ? Je vous en laisse décider tout en désirant que vous incliniez du côté de la modération. Pauvre amie, il y aura toujours des tyrans ; la tyrannie moderne n’est pas celle de ces pauvres dominateurs des peuples, sujets de toutes les révolutions : les journalistes sont et seront de plus en plus nos maîtres ; ils sont ceux de notre honneur et de notre caractère et ils ne parlent que de liberté et de lumière, pendant qu’ils obscurcissent toute gloire : qui le sait plus que vous ?

Je suis enchanté de l’idée que vous viendrez voir Orphée3. Je m’en vais redoubler mes précautions contre l’abominable hiver, qui est mon ennemi comme les journalistes sont les vôtres, afin de me tenir en santé le plus possible. Je voudrais aller pleurer avec vous à ce chef- d’œuvre : oui, pleurer. J’y étais avec un vieil avocat4 qui se fondait en eau à côté de moi.

Je vous embrasse ainsi que Maurice. J’ai entendu parler de son ouvrage et de ses dessins5, qu’on m’a dit être très intéressants. Adieux encore, chère amie, et à vous de tout cœur.

Eugène Delacroix

 


1 Par l’intermédiaire de Delacroix, Bertin avait demandé à Sand d’écrire une nouvelle pour Le Journal des débats: voir lettre du 10 décembre 1859. Elle décline cette proposition mais publiera plus tard La Famille de Germandre dans le périodique (du 7 au 29 août 1861).
2 Le Journal des débats avait publié des articles de Jules Janin (1804-1874) plutôt sévères à l’égard des pièces de George Sand. Cette dernière ne manque pas de le rappeler à Delacroix dans la lettre qu’elle lui écrit le 12 décembre 1859, et à laquelle le peintre répond ici (Alexandre, 2005, p. 212).
3 Dans sa lettre du 10 décembre 1859, Delacroix conseillait à Sand d’aller voir la révision par Hector Berlioz (1803-1869) de l’Orphée de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), représentée au Théâtre Lyrique avec Pauline Viardot dans le rôle titre. Dans son Journal, le peintre écrit à la date du 14 mars 1860: "Mme Sand [...] voulait m’entraîner ce soir à Orphée" (Hannoosh, t. II, p. 1333).
4 Selon Joubin, il pourrait s’agit de Berryer (Joubin, t. IV, p. 139).
5 L’ouvrage Masques et bouffons, écrit et illustré par Maurice Sand, vient alors de paraître.

Transcription originale

Page 1

[17 Xbr 59]

Ce 17

 

Chère amie,

J’ai vu Bertin : il est
assez penaud de votre objection : il
m’a chargé de vous exprimer combien
il regrette ce qu’il ne peut malheu-
-reusement pas effacer mais il s’en-
-gage à l’avenir et vous surtout
travaillant au journal, à [un mot interlinéaire] qu’il mettre
un terme à ces grossièretés insupporta-
-bles. Je ne doute pas que si vous
eussiez eté à Paris, il n’eut eté vous
exprimer lui même tout ce que
je vous dis là : il me l’a même dit
avec une chaleur qui m’eut [2 mots barrés illisibles] surpris
si je n’eusse entrevu qu’une démarche
directe auprès de vous et par écrit
surtout lui était pénible. Croyez
vous que cette lettre soit absolument

 

Page 2

nécessaire pour votre amour
propre offensé et faut il le presser
à outrance à cet egard ? je
vous en laisse décider [phrase barrée illisible]
tout en désirant que vous incli-
-niez du coté de la modération.
Pauvre amie il y aura toujours
des tyrans : la tyrannie moderne
n’est pas celle de ces pauvres domi-
-nateurs des peuples sujets de toutes
les révolutions : les journalistes
sont et seront de plus en plus
nos maitres : ils sont ceux de notre
honneur et de notre caractère
et ils ne parlent que de liberté
et de lumière pendant qu’ils
obscurcissent toute gloire : qui le
scait plus que vous.

Je suis enchanté de l’idée
que vous viendrez voir Orphée : je

 

Page 3

m’en vais redoubler mes précau-
-tions contre l’abominable hiver
qui est mon ennemi comme les
journalistes sont les votres, afin
de me tenir en santé le plus
possible. Je voudrais aller pleurer
avec vous à ce chef d’œuvre : oui
pleurer. J’y étais avec un vieil
avocat qui se fondait en eau à
coté de moi.

Je vous embrasse ainsi que
Maurice. J’ai entendu parler de
son ouvrage et de ses dessins qu’on
m’a dit etre très interessants.
Adieux encore chère amie et à
vous de tout cœur.

Egdelacroix

 

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