Lettre à George Sand, 19 juillet 1855

  • Cote de la lettre ED-IN-1855-JUIL-19-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 19 Juillet 18[55]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 278-279. Alexandre, 2005, p. 200-201.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 27,2x21,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 69
  • Œuvre concernée Chapelle des Saints-Anges, église de Saint-Sulpice
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Transcription modernisée

Champrosay, 19 juillet

 

Chère amie, ce n’est qu’à la campagne et le jour même de mon départ pour Paris qu’on me fait lire dans La Presse les passages que vous m’avez consacrés1. Je ne puis vous remercier dignement ni longuement ; je ne puis vous dire comme je le sens combien il y a de tendresse et d’indulgente bonté dans ce portrait, dans cette statue que vous avez taillée d’après un original qui ne se voit pas, à beaucoup près, à cette hauteur. Chère femme, qui me peint comme je voudrais être au moment où le succès passager de mon exposition2 réveille la colère de tous ceux dont je n’ai pu me faire pardonner ! Quel coup et de quelle main ! chère petite main si puissante et que je baise avec bonheur. Comment n’ai-je pas été le faire tout de suite et pour tout de bon, au lieu de prendre ici une plume et de chercher mes phrases pour vous exprimer ce que je sens ? Il n’y a que vous qui sentiez et qui disiez comme vous voulez. Eh bien ! je l’avoue, je suis enchanté de ce que vous dites parce que c’est vous qui le dites ; c’est à vous que je suis heureux de devoir tant de reconnaissance, c’est mon âme qui vous remercie.

Chère femme, voici pourquoi je n’ai pas été vous embrasser à Nohant tout de suite et sans savoir si vous y étiez. Après les fatigues que m’ont données mes tableaux à faire, à dévernir (je parle des anciens), à placer3, etc., fatigues véritables, je suis venu ici pour être tranquille et pour faire deux ou trois petites choses très arriérées que je rapporte avec moi. Je devais être à Paris au commencement de la semaine dernière, pour rendez-vous pris avec architectes, peintres, etc., dans un travail que je remets en train à Saint-Sulpice et qui traîne depuis cinq ans4 : je n’ai pu résister néanmoins à aller passer cinq ou six jours chez un parent et ami5 qui demeure à dix lieues d’ici et que j’aime beaucoup. J’ai dû contremander tous mes engagements. Maintenant il n’y a plus à reculer et je suis la proie du devoir : mais vous voir, vous embrasser est chose aussi indispensable. Dites-moi, chère amie, quels seront vos projets pour l’automne, peut-être aurai-je quelques jours de liberté auparavant.

Adieu encore, adieu, adieu, bonne amie.

Eugène Delacroix

Je n’ai pu lire que très peu d’articles de vos mémoires, mais j’ai jugé comment vous avez conçu votre monument, dont ces détails lus presque par hasard m’ont enchanté. C’est vraiment un monument que vous laisserez et dont la forme, l’exécution, etc. ne peuvent se comparer à rien dans ce genre. Que j’aurai du plaisir à en parler avec vous !

 


1 L’Histoire de ma vie de George Sand, recueil autobiographique dans lequel un chapitre est consacré à Delacroix, fut d’abord publié dans La Presse en 1854-1855.
2
La rétrospective de l’œuvre de Delacroix, présentée dans le cadre de l’Exposition universelle de 1855 à Paris, est alors un triomphe.
3
À l’Exposition universelle de 1855.
4
Au printemps 1849, Delacroix s’était vu confier la décoration de la chapelle des Saints-Anges dans l’église Saint-Sulpice à Paris. Elle ne sera achevée qu’en 1861.
5
Quelques jours auparavant, Delacroix rend visite à son cousin Antoine-Pierre Berryer à Augerville.

Transcription originale

Page 1

Champrosay 19

juillet

 

Chère amie, ce n’est qu’à la cam-
-pagne et le jour même de mon
départ pour Paris qu’on me fait lire
dans la presse les passages que vous
m’avez consacrés. Je ne puis vous
remercier dignement ni longuement
je ne puis vous dire comme je le sens
combien il y a de tendresse et d’indul-
-gente bonté dans ce portrait, dans
cette statue que vous avez taillée
d’après un original qui ne se voit
pas à beaucoup près à cette hauteur.
Chère femme qui me peint com-
-me je voudrais être au moment
où le succès passager de mon ex-
-position réveille la colère de tous
ceux dont je n’ai pu me faire pardon-

 

Page 2

-ner ! quel coup et de quelle
main, chère petite main si puissante
et que je baise avec bonheur. Comment
n’ai-je pas eté le faire tout de
suite et pour tout de bon, au lieu
de prendre ici une plume et
de chercher mes phrases pour vous
exprimer ce que je [mot interlinéaire] sens ! il n’y a
que vous qui sentiez et qui disiez
comme vous voulez. Eh bien je
l’avoue, je suis enchanté de ce que
vous dites parceque c’est vous qui le
dites ; c’est à vous que je suis heureux
de devoir tant de reconnaissance,
c’est mon âme qui vous remercie !

Chère femme voici pourquoi
je n’ai pas eté vous embrasser à
Nohant tout de suite et sans savoir si vous y étiez. [10 mots interlinéaires] Après les fatigues que
m’ont donné mes tableaux à faire

 

Page 3

à dévernir (je parle des anciens) à
placer & & fatigues véritables,
je suis venu ici pour être tranquille
et pour faire deux ou trois petites
choses très arriérées que je rap-
-porte avec moi. Je devais etre à
Paris au commencement de la
semaine dernière pour rendez vous
pris avec architectes, peintres &
dans un travail que je remets en
train à St Sulpice et qui traine
depuis cinq ans : je n’ai pu résis-
-ter neanmoins à aller passer
cinq ou six jours, chez un parent et
ami qui demeure à 10 lieues d’ici et
que j’aime beaucoup. J’ai du contre
-mander tous mes engagemens. main-
-tenant il n’y a plus à reculer et
je suis la proie du devoir : mais,
vous voir, vous embrasser est chose

 

Page 4

aussi indispensable. Dites moi
chère amie, quels seront vos
projets pour l’automne : peut etre
aurai je quelques jours de liberté
auparavant.

Adieu encore, adieu adieu
bonne amie.

Eugdelacroix

Je n’ai pu lire que très peu d’articles
de vos mémoires, mais j’ai jugé
comment vous avez conçu votre
monument, dont ces détails lus
[un mot barré illisible] presque par hasard m’ont
enchanté. C’est vraiment un monu-
-ment que vous laisserez et dont la
forme, l’execution & ne peuvent
se comparer à rien dans ce genre. Que
j’aurai du plaisir à en parler avec vous.

 

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