Lettre à George Sand, 7 décembre 1852

  • Cote de la lettre ED-IN-1852-DEC-07-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 07 Décembre 18[52]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 130-132. Alexandre, 2005, p. 196.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 26,4x20,6
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 66
  • Œuvre concernée Lélia devant le corps de son amant dans la caverne du moine
    Salon de la Paix, Hôtel de Ville de Paris
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Transcription modernisée

Ce 7 décembre

[1852]

Chère amie, votre bonne lettre m’est parvenue quand j’étais encore souffrant d’une indisposition1 que j’ai due autant au désappointement qu’à une fatigue extérieure. La salle dans laquelle on a appliqué mes peintures est la plus obscure qu’on puisse imaginer2 : il m’a fallu sur place faire un remaniement tel que le dépit de ne pouvoir arriver à temps et des efforts outrés m’ont rendu malade. Oui, chère, je vous enverrai quelque chose et c’est une chose qui vous avait déjà plu et que vous aviez vue commencée. C’est une petite surprise que je voulais vous faire, à Maurice et à vous. Vous me permettrez donc d’envoyer ses étrennes à cet enfant- là, que j’aime autant que je vous aime. Le sujet est le même que vous avez déjà, je crois, en pastel ou en aquarelle : Lélia dans la caverne3.

J’ai mené une vie de travail exagéré toute cette année, voici la seconde que cela dure ; et voyez ce que c’est que la différence des temps : il y a dix ans, j’aurais non seulement dévoré cette besogne mais je serais arrivé à temps. Dans la jeunesse on est toujours sûr de son fait ; plus tard, il faut compter avec les rhumatismes, ou plutôt avec l’inconstante fortune. Elle ne veut plus de vous : elle favorise plutôt les jeunes que les audacieux, quoi qu’en dise le proverbe. Elle est comme le public, qui ne tend la main qu’aux débutants.

Faites mes compliments à Maurice de ses gravures dans la dernière livraison du Meunier d’Angibault4. Il acquerra très vite l’adresse que les éditeurs demandent et il subsistera un charme naïf d’invention, qui n’était pas dans le bon Johannot 5. Je m’arrangerai pour vous faire mon petit envoi en temps opportun. Laissez-moi vous embrasser par anticipation, chère amie dont le tendre souvenir me rend si fier et si heureux dans la solitude où je passe ma vie. La vue d’une lettre de vous est un rayon de bonheur et il en a toujours été ainsi. Jamais la plus petite amertume n’a gâté ce pur sentiment : vous me prenez avec mes petites manies, qui sont l’effet de ma petite santé et de mes petits nerfs, et vous démêlez à travers cela le sentiment profond qui m’attache à vous. Je vous embrasse donc encore, en me rappelant à toute votre colonie qui veut bien se souvenir de moi.

Eugène Delacroix



1 Delacroix souffre alors de maux d’estomac (Journal, 17 et 28 novembre 1852).
2
Il est ici question de la décoration par Delacroix du Salon de la Paix à l’Hôtel de ville de Paris. Dans son Journal, le peintre se plaint également de l’obscurité de la salle (Journal, 19 octobre 1852).
3
S’inspirant du roman Lélia (1833) de George Sand, et plus spécifiquement de sa seconde version publiée en 1839, Delacroix exécuta plusieurs versions de Lélia devant le corps de son amant dans la caverne du moine.
4 Le Meunier d’Angibault de George Sand est publié pour la première fois en 1845. Il est ici question de sa publication dans le t. IV des Œuvres illustrées de l’auteur.
5 Tony Johannot est le contributeur initial aux Œuvres illustrées de Sand, mais décède quelques temps auparavant, en août 1852. Maurice Sand prend alors sa succession.

Transcription originale

Page 1

Ce 7 dec.
[1852]

Chère amie votre bonne lettre
m’est parvenue quand j’étais encore
souffrant d’une indisposition que j’ai
due autant au désappointement qu’à
une fatigue extérieure. La salle dans la
quelle on a appliqué mes peintures est la
plus obscure qu’on put imaginer : il m’a
fallu sur place faire un remaniement
tel, que le depit [un mot barré illisible] de ne pouvoir ar-
-river à temps et des efforts outrés m’ont
rendu malade. Oui, chère je vous en-
-verrai quelque chose et c’est une chose qui
vous avait déjà plû et que vous aviez
vu commencée. C’est une petite surprise
que je voulais vous faire à maurice et à
vous. Vous me permettrez donc d’envoyer
ses étrennes à cet enfant là que j’aime
autant que je vous aime. Le sujet est le
même que vous avez deja je crois en pastel
ou en aquarelle. Lelia dans la caverne.

Page 2

J’ai mené une vie de travail
exagéré toute cette année : voici la seconde
que cela dure : et voyez ce que c’est que
la différence des temps : il y a dix ans
j’aurais [mot barré illisible] non seulement j’aurais
dévoré cette besogne mais je serais arri-
-vé à temps. Dans la jeunesse on est
toujours sur de son fait : Plus tard il
faut compter avec les rhumatismes,
[mot barré illisible] ou plutot avec [mot barré illisible] l’incons-
tante fortune. Elle ne veut plus de
vous : elle favorise plutot les jeunes
que les audacieux quoiqu’en dise le
proverbe. Elle est comme le public qui
ne tend la main qu’aux débutants.

Faites mes compliments à
Maurice de ses gravures dans la
dernière livraison du Meunier d’Angibault.
Il acquerra très vite l’adresse que les
editeurs demandent et il subsistera
un charme naïf d’invention qui n’était
pas dans le bon Johannot. / je m’ar-

Page 3

-rangerai pour vous faire mon
petit envoi en temps opportun : laissez
moi vous embrasser par anticipation
chère amie dont le tendre souvenir
me rend si fier et si heureux dans
la solitude où je passe ma vie. La
vue d’une lettre de vous [2 mots barrés illisibles]
est un rayon de bonheur et il en
a toujours eté ainsi : jamais la plus
petite amertume n’a gâté ce pur
sentiment : vous me prenez avec mes
petites manies qui sont l’effet de
ma petite santé et de mes petits nerfs
et vous demelez [un mot barré illisible] à travers
cela le sentiment profond qui m’attache
à vous. Je vous embrasse donc encore
en me rappelant à toute votre colonie
qui veut bien se souvenir de moi.

Eugdelacroix

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