Lettre à Laurent Matheron, 10 décembre 1855

  • Cote de la lettre ED-MD-1855-DEC-10-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Laurent MATHERON
  • Date 10 Décembre 1855
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Historique Acquise par la Société des Amis du musée Eugène Delacroix auprès d’un particulier, septembre 2008
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,6x26,9
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque MD 2009-5
  • Données matérielles Pliée en deux
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Transcription modernisée

Ce 10 décembre 18551

 

Monsieur,

J’eusse répondu plutôt à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser et dans laquelle vous me demandez ce que je puis avoir de lumière sur l’œuvre de Goya, si je n’eusse espéré par ce retard me procurer quelques renseignements capables de vous intéresser. Je n’ai rien recueilli de nouveau et quant au projet que vous m’attribuez d’avoir entrepris moi-même un travail sur Goya, la vérité est que je n’y ai jamais songé. J’ai essayé à plusieurs reprises de me procurer le plus que j’ai pu de ses ouvrages, je parle des gravures qui me paraissent plus dignes d’estime que ses tableaux. J’ai eu occasion il y a dix ans de trouver à Bordeaux même et chez un lithographe qui demeurait près du grand théâtre quelques planches lithographiées représentant des combats de taureaux et un portrait lithographié de sa main, tous ouvrages assez faibles et qui doivent être de sa vieillesse. Vous savez sans doute qu’il a fait une suite d’eaux-fortes sur les malheurs de la guerre dans lesquelles il a retracé des scènes de la guerre d’Espagne. Quelques unes de ces planches sont d’une grande verve sans avoir cependant l’inspiration et l’exécution soutenue des Caprices qui sont probablement son chef-d’œuvre. Je crois me rappeler qu’on m’a parlé autrefois d’un ouvrage analogue qui présenterait également des scènes locales, mais je n’en ai aucune connaissance personnelle et j’hésite même à croire à son existence.

Quant aux eaux-fortes sur la guerre, elles sont introuvables : j’en ai vu une très petite partie il y a déjà longtemps.

Il existe à Paris un portrait en pied qui me paraît ce que j’ai vu en peinture de plus capital dans la main de Goya : c’est le portrait de M. Guillemardet, ancien conventionnel et ambassadeur pour la République en Espagne lorsque le portrait fut fait. C’est un très bel ouvrage qui appartient à un de mes amis, fils de la personne représentée et dont l’intention est de léguer le portrait au musée de Paris. Cet ami possède encore un petit portrait en pied de Goya, d’une marquise de Santa Cruz je crois qui ne manque pas de finesse mais qui n’est comparable ni par la dimension ni par le mérite au grand portrait en pied.

J’ai le regret de ne pouvoir vous offrir l’article du Poussin que vous voulez bien vous rappeler : je suis arrivé trop tard pour en faire faire un tirage particulier : je ne sais moi-même si j’ai encore l’exemplaire du journal où il se trouvait.

J’ai bien regretté, Monsieur, d’avoir eu constamment le malheur de vous manquer à vos différents passages à Paris. Je m’absente souvent tout à fait ou je travaille dans des monuments. Je ne renonce pas pourtant à avoir le plaisir de vous montrer quelque jour mon atelier.

Agréez mille assurances de la plus haute considération.

Eug. Delacroix


1 Une autre main a rajouté à l’encre brune avant la date : (Paris).

Transcription originale

Page 1

Ce 10 déc. 1855

Monsieur,

J’eusse repondu plutot
à la lettre que vous m’avez fait l’hon-
-neur de m’adresser et dans laquelle
vous me demandez ce que je puis
avoir de lumiere sur l’œuvre de
Goya, si je n’eusse esperé par ce retard
me procurer quelques renseignements
capables de vous intéresser. Je n’ai
rien recueilli de nouveau et quant
au projet que vous m’attribuez d’avoir
entrepris moi même un travail
sur Goya, la vérité est que je n’y
ai jamais songé. J’ai essayé à
plusieurs reprises de me procurer le plus
que j’ai pu de ses ouvrages, je parle

 

Page 2

des gravures qui me paraissent
plus dignes d’estime que ses tableaux.
J’ai eu occasion il y a dix ans de
trouver à Bordeaux même et chez
un lithographe qui demeurait près
du grand theatre quelques planches
lithographiées representant des combats
de taureaux et un portrait lithographié
de sa main, tous ouvrages assez
faibles et qui doivent etre de sa vieillesse.
Vous savez sans doute qu’il a fait
une suite d’eaux-fortes sur les malheurs
de la guerre
dans lesquelles il a
retracé des scenes de la guerre d’Espagne.
quelques unes de ces planches sont d’une
grande verve sans avoir cependant
l’inspiration et l’execution soutenu
des Caprices qui sont probablement
son chef-d’œuvre. Je crois me rap-

 

Page 3

-peler qu’on m’a parlé autrefois [6 derniers mots interlinéaires] d’un ouvrage analogue qui
présenterait egalement des scenes
locales, mais je n’en ai aucune
connaissance personnelle [mot interlinéaire] et j’hesite même à
croire à son existence.
Quant aux eaux fortes sur la
guerre, elles sont introuvables : j’en
ai vu une très petite partie il
y a déja longtemps.

Il existe à Paris un portrait
en pied qui me parait ce que j’ai
vu en peinture de plus capital dans
la main de Goya : c’est le portrait
de M. Guillemardet ancien conven-
-tionnel et ambassadeur pour la répu-
-blique en Espagne lorsque le portrait
fut fait. C’est un très bel ouvrage
qui appartient à un de mes amis, fils
de la personne representée et dont
l’intention est de leguer le portrait
au musée de Paris. Cet ami pos-

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-sede encore un petit portrait en
pied de Goya, d’une marquise de
Santa Cruz je crois qui ne manque
pas de finesse mais qui n’est compa-
-rable ni par la dimension ni par
le merite au grand portrait en pied.

J’ai le regret de ne pouvoir vous
offrir l’article du Poussin que vous
voulez bien vous rappeler : je suis arrivé
trop tard pour en faire faire un
tirage particulier : je ne scais moi même
si j’ai encore l’exemplaire du journal
où il se trouvait.

J’ai bien regretté, Monsieur, d’avoir
eu constamment le malheur de vous
manquer à vos differents passages à
Paris. Je m’absente souvent tout à fait
ou je travaille dans des monuments.
je ne renonce pas pourtant à avoir le
plaisir de vous montrer quelque jour mon
atelier.

Agreez mille assurances de la plus haute consideration.

 

Eug. Delacroix

 

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